Economiste au Centre d’économie de la Sorbonne, membre de l’Association française de science économique (AFSE) et du Cercle des économistes
En 1436, la Chine s’est détournée de la mondialisation : un édit impérial ordonnait la destruction de sa puissante flotte maritime. Par la suite, la construction de navires de haute mer fut interdite, sous peine de mort. La priorité était en effet à la Grande Muraille pour résister à la pression mongole, et les mandarins considéraient l’agriculture, et non le commerce, comme seule source de richesse.
Cet épisode de fermeture rappelle que la mondialisation a d’abord une dimension politique, particulièrement sensible quand les technologies permettent un bond en avant : l’utilisation de la boussole et de navires de haute mer par les Chinois au XVe siècle, les porte-conteneurs et Internet aujourd’hui.
Il est donc naturel que la mondialisation s’invite dans le débat politique. Mais à la différence de la Chine du XVe siècle, la France est une économie de petite taille, déjà très engagée dans la mondialisation.
Par Lionel Fontagne
Economiste au Centre d’économie de la Sorbonne, membre de l’Association française de science économique (AFSE) et du Cercle des économistes
En 1436, la Chine s’est détournée de la mondialisation : un édit impérial ordonnait la destruction de sa puissante flotte maritime. Par la suite, la construction de navires de haute mer fut interdite, sous peine de mort. La priorité était en effet à la Grande Muraille pour résister à la pression mongole, et les mandarins considéraient l’agriculture, et non le commerce, comme seule source de richesse.
Cet épisode de fermeture rappelle que la mondialisation a d’abord une dimension politique, particulièrement sensible quand les technologies permettent un bond en avant : l’utilisation de la boussole et de navires de haute mer par les Chinois au XVe siècle, les porte-conteneurs et Internet aujourd’hui.
Il est donc naturel que la mondialisation s’invite dans le débat politique. Mais à la différence de la Chine du XVe siècle, la France est une économie de petite taille, déjà très engagée dans la mondialisation.
3 % du PIB mondial
Elle ne représente plus aujourd’hui que 3 % du produit intérieur brut (PIB) mondial : pour les entreprises françaises, 97 % du marché se situe potentiellement en dehors de la France ; pour les consommateurs, 97 % de l’offre potentielle de biens correspond à des biens importés (tous les chiffres valent pour 2015, dernière année pour laquelle des statistiques définitives sont disponibles).
Ce vaste marché hors de nos frontières peut être capté soit par l’exportation (la France a une part de marché mondial à l’exportation également de 3 %), soit, lorsque les coûts d’exportation sont trop importants, par la production et la vente sur place de filiales d’entreprises françaises implantées à l’étranger. Le chiffre d’affaires de ces filiales représente plus de deux fois la valeur des exportations françaises.
Les groupes français (banques non comprises) emploient ainsi plus de 5 millions de salariés dans leurs 37 000 filiales à l’étranger. Les revenus pour la France des investissements à l’étranger s’élèvent à 60 milliards d’euros (essentiellement sous forme de dividendes), soit l’équivalent de 2 000 euros par ménage français et par an environ.
Un emploi sur huit dans une entreprise étrangère
En retour, le poids des groupes étrangers dans l’économie française est également important : un emploi sur huit dans l’économie française se trouve dans une entreprise étrangère. Au final, la moitié des emplois du secteur marchand en France sont dans des entreprises multinationales, qu’elles soient sous contrôle français ou étranger.
Cette intégration à l’économie mondiale s’approfondit si l’on peut dire « naturellement » : la France est de plus en plus ouverte parce que l’économie mondiale qui l’entoure croît beaucoup plus vite que le marché national, le commerce international et les investissements étrangers étant déterminés par les masses économiques des pays. Les seules exportations françaises de biens et services représentent aujourd’hui 30 % du PIB français, contre 16 % à la veille du premier choc pétrolier et 20 % au début des années 1990. S’y ajoutent, répétons-le, les ventes locales des filiales à l’étranger.
Mais s’il y a beaucoup à gagner à être petit dans un vaste monde et à y exploiter ses créneaux d’excellence, les chocs transmis par l’économie mondiale peuvent aussi être singulièrement violents. De surcroît, se spécialiser implique le déplacement des salariés d’un secteur à l’autre, ou plus exactement aujourd’hui d’une tâche à l’autre – des tâches codifiées et répétitives vers des tâches plus complexes et non délocalisables.
Des retards importants pour la France
Ces chocs appellent des réponses fortes et ciblées en direction des perdants, tandis que la nécessaire fluidité de l’économie implique des investissements de très long terme : les pays les plus à l’aise avec l’idée de mondialisation sont aussi ceux qui ont les filets sociaux les plus efficaces, les marchés du travail les plus fluides, les systèmes éducatifs les plus performants.
La France, qui a d’énormes atouts comme le prouvent les succès français sur les marchés étrangers, a aussi des retards importants dans plusieurs de ces domaines : un Etat providence qui peine à se réformer, un marché du travail dont le fonctionnement est perfectible, un système éducatif dont la sous-performance est soulignée par les enquêtes internationales.
Comme le progrès technique, la mondialisation crée donc à la fois une accumulation de richesses et des inégalités. Il peut alors paraître plus porteur politiquement de dénoncer la première que de combattre les secondes. C’est ainsi que l’idée de protectionnisme affleure dans certaines plates-formes politiques : elle évite de parler de redistribution des revenus, d’égalité des chances, de protection des trajectoires professionnelles individuelles ou de formation tout au long de la vie.
Sauf que le protectionnisme ne protège pas : il affecte plus particulièrement les ménages modestes et les familles, dont une partie importante des dépenses concerne les biens dont le prix augmente (il n’y a pas de droits de douane sur les services). A cette régressivité des droits de douane s’ajoute le fractionnement international des chaînes de valeur : les importations françaises sont en partie de la valeur ajoutée française contenue dans les biens étrangers.
Royaume-Uni : pouvoir de négociation limité
La comparaison avec le Brexit est erronée : le premier ministre britannique Theresa May souhaite avant tout garder l’accès au marché européen, voire signer de nouveaux traités commerciaux avec des pays tiers. Et le Royaume-Uni va rapidement mesurer combien un poids économique comparable à celui de la France limite son pouvoir de négociation vis-à-vis de partenaires de la taille des Etats-Unis ou de la Chine.
Pour un pays de la taille de la France, la réponse adéquate à la mondialisation est au contraire de s’appuyer sur l’Union européenne pour faire évoluer au mieux les règles du commerce international, obtenir plus de réciprocité dans l’accès au marché, faire respecter la propriété intellectuelle, et mettre au cœur des arrangements commerciaux les questions sociales et environnementales.
Lionel Fontagné (Economiste au Centre d’économie de la Sorbonne, membre de l’Association française de science économique (AFSE) et du Cercle des économistes