L’essence du néolibéralisme

Ancien Président de l’AFSE, Claude Diebolt discute dans cette chronique du néolibéralisme, une notion polymorphe et aux contours souvent flous.

Par Claude Diebolt, Directeur de Recherche CNRS (BETA-CNRS, Université de Strasbourg), ancien Président de l’AFSE.

L’essence du néolibéralisme[1]

En soulignant la polysémie historique du concept, de nombreux chercheurs se sont livrés à un exercice approfondi d’archéologie intellectuelle du néolibéralisme. Ici, je me concentre sur la façon contemporaine d’entrevoir le néolibéralisme. Dans leur Very Short Introduction, Manfred Steger et Ravi Roy (2021), par exemple, ont tenté une forme de définition, présentant le néolibéralisme tel un concept assez général se référant à un modèle ou paradigme économique qui parvint à son hégémonie dans les années 1980. Fondé sur l’idée générale du marché autorégulé, le néolibéralisme connaît pourtant plusieurs étapes. Une première phase avec Ronald Reagan et Margaret Thatcher. Une seconde phase avec le Market Globalism de Bill Clinton et le Third Way de Tony Blair dans les années 1990. Les auteurs explorent les variantes asiatiques, africaines et latino-américaines de la même idéologie, pour aboutir aux crises du néolibéralisme dans la décennie 2000. Emergent alors trois dimensions du concept. Celle de l’idéologie, i.e. du marché libre, du libre-échange et d’une finance globalisée porteuse d’une prospérité généralisée et d’un monde meilleur, voire pacifié. Celle du mode de gouvernance… concurrentiel. Celle, enfin, d’un ensemble de politiques économiques de dérégulation, de privatisation et de libéralisation. En définitive, le néolibéralisme suggère un retour en grâce de quelque chose d’assez ancien, d’un libéralisme classique à revivifier pour l’adapter au monde contemporain, après plusieurs décennies de consensus plus interventionniste. On le confond souvent avec un terme voisin, celui d’ultralibéralisme. D’aucuns y voient même l’essence de la science économique. À la réflexion, une forme allemande de néolibéralisme (Eucken, Müller-Armack, Röpke…) perçoit la libre concurrence comme optimale, mais souligne qu’elle ne s’impose pas spontanément : il faut des règles et un Etat fort pour ne pas la fausser. Cette pensée allemande a exercé un écho certain sur la manière de construire l’Europe depuis les années 1950 (Alcouffe et Diebolt, 2009). Tel un phœnix, l’ordolibéralisme allemand ne demande assurément qu’à pleinement renaître de ses cendres pour (enfin) conjuguer rigueur monétaire et budgétaire au sein d’une société (européenne notamment) à la fois plus responsable, plus solidaire et plus humaine !

 

Références :

Alcouffe A., Diebolt C. (Eds.): La pensée économique allemande, Editions Economica, Paris, 2009.

Steger M.B., Roy R.K: Neoliberalism: A Very Short Introduction, 2nd Edition, Oxford University Press, Oxford, 2021.

 

[1]Je reprends ici le titre d’un article de Pierre Bourdieu : "L’essence du néolibéralisme", paru dans Le Monde Diplomatique, Mars 1998, p. 3