Mention spéciale au Prix de thèse d’économie 2019 de l’AFSE, Samuel Ligonnière présente les résultats de ses recherches sur les cycles financiers mondiaux et nationaux, menées sous la direction de Jérôme Héricourt et Farid Toubal. Ces travaux montrent en particulier la contrainte croissante sur les dynamiques financières nationales induite par le cycle financier mondial, devenu par ailleurs sensible tant aux inégalités de revenu dans les pays développés qu’à l’excès de dette à court terme dans les pays en développement.
Par Samuel Ligonnière, ATER à l’Université de Paris 2 – Panthéon-Assas & chercheur au LEM-CNRS. A compter du 1er septembre 2019, Maître de Conférences à l’Université de Strasbourg & chercheur au BETA-CNRS.
Les cycles financiers : déterminants et implications de politique économique
Cette thèse analyse les déterminants et les conséquences des cycles financiers, afin d’en tirer des recommandations de politique économique. Cette terminologie relativement nouvelle de « cycles financiers » renvoie aussi bien au comportement pro-cyclique des agents financiers qu’aux fluctuations de différentes variables, tels que le crédit ou les marchés boursiers et immobiliers. Cela permet de définir le cycle au niveau national comme au niveau mondial.
De nouveaux déterminants pour les cycles financiers nationaux : la maturité de la dette et la montée des inégalités de revenu
Mes recherches ont tout d’abord mis en avant de nouveaux déterminants des cycles financiers nationaux. Je souligne notamment le rôle primordial de la maturité de la dette dans les pays en développement. L’excès d’endettement est un indicateur préventif connu pour les crises financières, mais cet aspect quantitatif se penche uniquement sur le caractère solvable de la dette. L’analyse conjointe du niveau de dette et de la maturité de la dette permet de différencier les questions de solvabilité et de liquidité. L’emploi d’une dette de long terme posera principalement un problème de solvabilité, tandis qu’une dette de court terme engendrera de surcroît un potentiel problème de liquidité. Dès lors, l’emploi excessif de dettes de court terme va amplifier tout choc négatif. Le modèle théorique est basé sur le mécanisme de déflation par la dette à la Fisher (1933), et l’étend au choix du portefeuille de dettes en termes de maturité. La partie empirique du chapitre met en avant le rôle de la maturité de la dette privée au sein des pays émergents, contrairement à la littérature empirique se focalisant sur les pays avancés.
Concernant les pays développés, cette thèse met en exergue un deuxième déterminant nouveau de ces cycles financiers, à savoir l’évolution des inégalités de revenus. En distinguant les comportements des classes populaires, classes moyennes et des classes aisées dans leur comportement face au crédit et à l’épargne, j’analyse l’impact d’une hausse des inégalités sur la dynamique du crédit. L’approche théorique fait apparaître trois prédictions apparaissent: i) la hausse des inégalités conduit à une augmentation du crédit aux ménages au niveau macroéconomique; ii) l’essentiel de ce lien de causalité est tiré par le rôle clé des classes moyennes; iii) ce lien de causalité positif existe si et seulement si le pays est suffisamment développé. Ces prédictions théoriques sont vérifiées empiriquement sur un panel de 41 pays de 1970 à 2014. Afin d’établir de façon nette l’impact causal des inégalités sur le volume de crédit, la méthodologie employée dans ce chapitre repose, dans un premier temps, sur l’estimation d’une équation d’inégalités en fonction d’une variable tierce, destinée à extraire la part « exogène » des variations des inégalités, c’est-à-dire indépendante de la dynamique du crédit, mais également des phénomènes ayant pu influencer les deux variables simultanément. Dans un second temps, la stratégie consiste à relier le crédit rapporté au PIB aux variations des inégalités prédites par la variable tierce. Cette dernière est le nombre de ratifications de conventions à l’Organisation International du Travail. Ces ratifications sont étroitement reliées à la baisse des inégalités de revenus, étant donné que ces ratifications permettent la réalisation de nouvelles lois en faveur de la protection des salariés, tout en étant indépendantes de la dynamique du crédit. In fine, ce chapitre souligne l’importance qui doit être accordée à la paupérisation relative des classes moyennes dans le débat public relatif aux inégalités de revenus.
Les conséquences du cycle financier mondial : une perte d’autonomie de la politique monétaire et une dépendance accrue aux acteurs globaux
Cette thèse analyse également les conséquences du cycle financier mondial, principalement influencé par la politique monétaire américaine. Le triangle d’incompatibilité de Mundell, qui souligne l’impossibilité d’avoir simultanément une politique monétaire autonome, un régime de changes fixes et une parfaite mobilité des capitaux, offre à cet égard un contrepoint intéressant. Ce concept a été âprement discuté dans la littérature, notamment par Rey (2015). Cette dernière soutient que le triangle d’incompatibilité est mis à mal par le cycle financier global, et qu’il est au final devenu un dilemme entre autonomie de la politique monétaire et parfaite mobilité des capitaux. Je montre cependant dans ce chapitre[1] que ce cycle ne change pas la nature du triangle d’incompatibilité de Mundell : le régime de change a encore bel et bien un rôle à jouer. Je distingue également le rôle du cycle financier mondial dans son amplitude et dans l’exposition concrète d’un pays face aux dynamiques financières internationales. L’amplitude de ce cycle financier mondial se mesure par le niveau de crédit, la dynamique des prix immobiliers et boursiers, ainsi que par l’aversion au risque estimée au travers du VIX.[2] L’exposition d’un pays se mesure notamment par la présence de banques globales au sein de ce dernier. Je démontre le rôle clé de ces acteurs globaux, leur forte présence accroissant l’exposition du pays au cycle financier mondial, et réduisant dès lors profondément l’autonomie de la politique monétaire.
Bibliographie
Fisher, I. (1933). The debt-deflation theory of great depressions. Econometrica: Journal of the Econometric Society, 337-357.
Mundell, R. A. (1963). Capital mobility and stabilization policy under fixed and flexible exchange rates. Canadian Journal of Economics and Political Science, 29(4), 475-485.
Rey, H. (2015). Dilemma not trilemma: the global financial cycle and monetary policy independence (No. w21162). National Bureau of Economic Research.
[1] “Trilemma, Dilemma and Global Players", Journal of International Money and Finance, 2018, 85(6), 20-39.
[2] Le VIX est un indicateur de volatilité (Volatility Index, abrégé en VIX) du marché financier américain. Il est établi quotidiennement par le Chicago Board Options Exchange (CBOE). Cet indice est calculé en faisant la moyenne des volatilités sur les options d'achat (call) et les options de vente (put) sur l'indice Standard & Poor's 500 (S&P 500)