Les cycles économiques de la France : une datation de référence

Créé en octobre 2020 par l’Association Française de Science Économique, le Comité de Datation des Cycles de l’Economie Française (CDCEF) a pour objectif d’identifier les points de retournement du cycle des affaires économiques (business cycle ou encore cycle classique) pour l’économie française et d’établir une chronologie historique, maintenue à jour. Ce billet se propose de rendre compte des origines, de la mise en œuvre et des avancées récentes du projet.

Les origines du projet : une datation des cycles économiques américains, proposée par le comité de datation du NBER en 1978

L’étude historique des cycles économiques constitue un sujet de recherche de longue date et être à même de les dater permet d’éclairer l’analyse économique dans de multiples dimensions. En macroéconomie, une telle chronologie, ou datation, est ainsi utile pour déchiffrer et anticiper les fluctuations économiques au travers du cycle. Elle constitue aussi un outil fondamental pour les conjoncturistes dans l’étude et la classification des indicateurs économiques (avancés, retardés, coïncidents) par rapport au cycle de référence.

Au niveau international, disposer d’une telle datation rend possibles les comparaisons cycliques mondiales et l’étude de la synchronisation des cycles entre pays.  Les travaux sur les relations entre cycles de l’économie réelle et cycles financiers pourront également bénéficier de l’existence d’une datation pour comparer les deux types de cycles. Disposer d’une chronologie de référence des points de retournement du cycle économique est aussi très précieux dans le cadre des outils d’aide à la mise en place des politiques économiques.

Ce sont les États-Unis qui, les premiers, ont proposé en 1978, une chronologie officielle des points de retournement du cycle des affaires en créant un comité de datation au sein du National Bureau of Economic Research (NBER). S’inspirant de l’expérience américaine, le Center for Economic and Policy Research (CEPR) a lui aussi créé, pour la zone euro, un tel comité dont l’objectif est de proposer une chronologie des points de retournement du cycle des affaires pour la zone euro.

 

Le projet du Comité de Datation des Cycles de l’Economie Française (CDCEF), créé en octobre 2020 sous l’égide de l’Association Française de Science Économique (AFSE)

Le Comité de Datation des Cycles de l’Economie Française (CDCEF), créé en octobre 2020 sous l’égide de l’Association Française de Science Économique (AFSE) et composé de neuf économistes, a récemment proposé une datation trimestrielle de référence des périodes de récession et d’expansion de l’économie française. L’objectif est d’identifier les points de retournement du cycle des affaires économiques (business cycle ou encore cycle classique) pour l’économie française et d’établir ainsi une chronologie historique qui sera ensuite maintenue à jour.

Dater les phases du cycle économique n’est pas une tâche aisée car les cycles sont par nature non observables. Une règle simple, souvent utilisée par la presse et le grand public, consiste à identifier une récession dès que le taux de croissance du PIB affiche deux trimestres consécutifs de baisse. Cette règle dite « des deux trimestres » ne suffit toutefois pas à caractériser complètement une récession. Tout d’abord, sur les chronologies existantes pour d’autres pays, il arrive que cette règle ne coïncide pas avec les datations officielles. Par ailleurs, si cette règle peut être utile pour dater le début des récessions économiques, elle ne permet pas d’en identifier la fin. Plus généralement, cette règle ne se focalise que sur une seule caractéristique, à savoir la durée des phases, et néglige d’autres caractéristiques importantes des cycles telles que l’amplitude du phénomène ou sa diffusion au sein de l’économie.

Pour dépasser ces limites, le CDCEF a mis en place une méthodologie reposant sur deux piliers. Le premier est quantitatif et consiste à mesurer le cycle économique à l’aide de différentes méthodes économétriques, à partir desquelles est obtenue une liste de dates possibles des récessions de l’économie française. Le deuxième pilier est qualitatif et repose sur une approche narrative basée sur l’avis des experts composant le CDCEF (économistes, conjoncturistes, économètres, historiens). Ce filtre dit du « dire d’experts » est essentiel dans ce type d’exercice car, si les méthodes quantitatives constituent une aide précieuse à la décision qui sera in fine prise par le Comité, leurs résultats ne peuvent pas pour autant être pris directement en compte sans analyse économique qualitative. L’approche narrative permet ainsi de valider, au regard de la situation économique prévalant lors des épisodes considérés, les périodes identifiées comme des récessions possibles par l’analyse économétrique précédente, sans nécessairement chercher à modifier les dates des pics et des creux. La méthodologie du CDCEF est disponible sur le site internet de l’AFSE et a récemment été publiée dans un article de la Revue Économique.

 

Cinq épisodes identifiés comme des périodes des récessions en France depuis 1970, dont le choc sanitaire lié à la pandémie de Covid-19

À l’issue de l’application de cette méthodologie, cinq épisodes ont été identifiés comme des périodes de récession en France depuis 1970 : les chocs pétroliers de 1974-75 et 1980, le cycle d’investissement de 1992-93, la grande récession de 2008-09 engendrée par la crise financière et le choc sanitaire lié à la pandémie de Covid-19.

Le choc qu’a connu l’économie française en 2020 dans la foulée de l’épidémie de Covid est inédit à plusieurs égards. La phase du pic au creux du cycle aura été la plus courte depuis les années 1970, puisque sa durée est de deux trimestres, contre une moyenne de quatre trimestres pour les quatre précédents épisodes de récession identifiés par le CDCEF. Mais cette « récession Covid » est de loin la plus marquée en termes d’amplitude et de sévérité puisque la perte de PIB est de 18,4 % entre le pic et le creux, contre une moyenne de 1,6 % lors des quatre précédentes récessions (voir Tableau 1 ci-dessous).

Les dates des points de retournement du cycle caractérisant ces récessions sont synthétisées dans le tableau et le graphique ci-dessous.

 

Tableau 1 : Datation du cycle économique de la France par le CDCEF

 

Figure 1

Note : la durée de la phase baissière est exprimée en trimestres, l’amplitude en % et la sévérité est définie comme étant : | 0,5 × Durée × Amplitude |. La date t du pic correspond à la fin de la période d’expansion (i.e. la récession commence en t+1). La date t du creux correspond à la fin de la période de récession (i.e. l’expansion commence en t+1). *Par convention, les dates des deux derniers points de retournement sont considérées comme provisoires.

 

Graphique 1 : PIB et cycle économique de la France

Figure 2

Note : les barres grisées correspondent aux périodes de récession estimées par le CDCEF. Le PIB est exprimé en milliards d’euros constants (PIB trimestriel en volume aux prix de l’année précédente chaînés, source : Insee, données disponibles au 18 mai 2023).

 

Cette datation des cycles est désormais disponible pour l’ensemble de la communauté des économistes et nous espérons qu’elle sera largement utilisée. Nous avons pour objectif de maintenir à jour cette chronologie dans le futur. Nos travaux pourraient être poursuivis dans plusieurs directions, notamment l’estimation d’une datation sur une fréquence mensuelle ou la rétropolation historique avant 1970.

 

Référence :

Aviat, A., F. Bec, C. Diebolt, C. Doz, D. Ferrand, L. Ferrara, E. Heyer, V. Mignon, P.-A. Pionnier (2023), Les cycles économiques de la France: une datation de référence, Revue Économique, 2023/2, Vol. 74, pp. 5-52.