Dans un sondage Ipsos Sopra Steria récent et peu commenté, publié le 30 mars (« Présidentielle 2017: les Français et le pouvoir d’achat »), la question du pouvoir d’achat est prioritaire dans leur vote pour 37 % des Français et occupe une place importante pour 56 % d’entre eux. Ces proportions sont plus élevées pour les électeurs de François Fillon et surtout de Marine Le Pen, dont 45 % des électeurs jugent cette question prioritaire. Et, sans surprise, ils ne font guère confiance à leurs candidats pour la régler, le taux de confiance étant de 43 % pour Jean-Luc Mélenchon, 38 % pour Emmanuel Macron et entre 20 % et 34 % pour les autres candidats.
Etienne Wasmer
Professeur à Sciences Po et membre de l’Association française de science économique/AFSE
Dans un sondage Ipsos Sopra Steria récent et peu commenté, publié le 30 mars (« Présidentielle 2017: les Français et le pouvoir d’achat »), la question du pouvoir d’achat est prioritaire dans leur vote pour 37 % des Français et occupe une place importante pour 56 % d’entre eux. Ces proportions sont plus élevées pour les électeurs de François Fillon et surtout de Marine Le Pen, dont 45 % des électeurs jugent cette question prioritaire. Et, sans surprise, ils ne font guère confiance à leurs candidats pour la régler, le taux de confiance étant de 43 % pour Jean-Luc Mélenchon, 38 % pour Emmanuel Macron et entre 20 % et 34 % pour les autres candidats.
La question du pouvoir d’achat est toujours liée à l’emploi. Or, l’emploi a bien progressé ces dernières années, certes insuffisamment mais positivement. Le dernier rapport 2016 du groupe d’experts du smic souligne que l’emploi salarié total était en augmentation de 176 000 en 2015, de 34 000 en 2014 et de 181 000 en 2013.
Un environnement fiscal prévisible aux entreprises
Surtout, la hausse de 2015 est encourageante, car la plus grande partie (97 000) provient du secteur salarié marchand soit deux fois plus que dans le secteur non-marchand (47 000) et que pour les non-salariés (25 000), dont une grande partie est précaire. En 2013, la majorité de la hausse était le fait du non-marchand et des non-salariés, alors que le secteur marchand enregistrait une baisse de l’emploi salarié.
Le chômage, le halo autour du chômage et le chômage de longue durée, en revanche, restent orientés à la hausse, et il faudra plus de créations d’emplois pour parvenir à inverser la tendance. Enfin, pour compléter le diagnostic, les salaires réels (nets de l’inflation) ont retrouvé une croissance positive depuis 2012, avec notamment une hausse moyenne de 1 % au-dessus de l’inflation en 2014 et 2015. Plus encourageant, c’est le salaire mensuel de base qui porte cette évolution en 2015 et non plus les primes, qui par définition ne sont pas automatiquement reconduites.
Pour améliorer le pouvoir d’achat, le premier levier est donc l’emploi, et pour cela il faut offrir un environnement fiscal prévisible aux entreprises, qui sinon retardent leurs embauches en attendant d’y voir plus clair.
Un paradoxe
Le second levier, ce sont les transferts sociaux quand ceux-ci ne pénalisent pas le marché du travail : il est possible de les réformer de façon à ce qu’ils ne renforcent ni les « trappes à pauvreté », ni le chômage. Le smic est précisément et de ce fait un mauvais instrument pour redistribuer.
A contrario, un revenu universel élimine bien les « trappes à pauvreté », puisqu’on peut travailler davantage sans perdre cette allocation. Son coût pour les finances publiques est cependant suffisamment décourageant pour qu’au-delà des slogans, les trois candidats Hamon, Fillon et Macron soient en faveur d’une convergence globale des systèmes de transferts sociaux vers une allocation unique regroupant RSA et aides au logement, avec bien sûr des variantes dans l’implémentation.
Le troisième levier est le logement. C’est d’ailleurs un paradoxe : parmi les difficultés liées au pouvoir d’achat, le logement n’occupe pas une place particulièrement saillante, malgré la formidable hausse des prix des dernières décennies en France. Il semblerait que le logement ne soit un déterminant du vote que pour seulement 20 % des Français.
Des propriétaires anciens
Comment expliquer que, dans un pays où les prix de l’immobilier sont restés si élevés pendant la crise, les politiques du logement ne cristallisent pas plus le vote des Français ? La réponse est à chercher dans la composition du parc de logement. Selon l’Enquête Logement de 2013 de l’Insee, la dernière en date et la plus fiable, la France est massivement un pays de propriétaires anciens : 57,9 % des ménages sont propriétaires de leur logement, dont près des deux tiers ont remboursé ses emprunts ; ce ne sont donc au total que 20 % de la population qui sont « propriétaires accédants », c’est-à-dire avec des emprunts en cours et donc plus récents.
Et encore, statistiquement, un bon nombre d’entre eux est proches de la fin du remboursement. Les autres paient des remboursements avec des taux d’intérêt qui ont été historiquement faibles, et qui ont d’ailleurs contribué à l’inflation immobilière. Sur les 42,1 % de Français non-propriétaires, près de 16 % vivent dans le secteur locatif social dont la vocation est d’offrir des loyers modérés ; et 21,2 % vivent dans le parc locatif privé, dont les loyers n’ont progressé que de façon limitée par rapport aux revenus moyens, sauf bien entendu dans les grandes villes – mais où les revenus sont aussi plus élevés.
Tout va-t-il donc bien sur le front du logement, Madame la marquise ? En fait, non, parce que ces Français qui souffrent du logement représentent justement les forces vives de la Nation : les jeunes, qui peinent à obtenir des places en HLM qu’ils mériteraient ; les familles qui s’agrandissent ; les travailleurs mobiles, qui doivent prendre un emploi dans une autre région ; les travailleurs urbains, qui contribuent à l’essor et à la créativité du pays.
Quelques petits pourcents
Au-delà du dynamisme économique qu’on pénalise, le logement est un bien essentiel qui, s’il vient à manquer, provoque des drames humains. Même si ce ne sont que quelques petits pourcents, cela recouvre les situations de familles en instance d’expulsion, faute de politique cohérente d’offre et par manque d’applicabilité de la loi sur le droit au logement opposable (DALO).
Enfin, si les employeurs veulent attirer des travailleurs motivés dans les agglomérations, les salaires ne peuvent suivre qu’hélas partiellement le coût du logement, et c’est la compétitivité du pays qui est alors atteinte. La dynamique salariale française de la décennie 2000 par rapport à l’Allemagne, qui peut sembler une bonne nouvelle pour le pouvoir d’achat, est en fait un rattrapage coûteux du logement qui grève en partie nos exportations.
Il est donc possible de jouer sur ces trois leviers : une politique d’emploi sécurisante, simplifiant et sécurisant le contexte fiscal des entreprises ; une politique de transferts sociaux non décourageante pour le retour à l’emploi ; une politique d’aide au logement tournée vers la mobilité géographique et la reprise d’emploi, débarrassée progressivement de ses oripeaux les plus inflationnistes sur les prix – aides à la pierre – et ciblée sur les loyers. On pourrait ainsi parvenir à une nette amélioration de la justice sociale.