La réforme française de l’assurance agro-climatique : quand la subvention risque de faire disparaître les filets anti-grêle

Le 1er janvier 2023 entrera en vigueur le nouveau système français de couverture des risques agro-climatiques des exploitants agricoles. Si les règles d’éligibilité ont été largement simplifiées et le principe de la subvention confirmé afin de renforcer les incitations des agriculteurs à s’assurer, la protection est le parent pauvre de la réforme. Nous discutons ici des effets contre-productifs que la subvention peut créer en rendant l’assurance substituable aux investissements en protection alors même que ces deux activités ont tout pour se compléter en théorie.

L’épisode de gel tardif d’avril 2021 est considéré comme la plus grande catastrophe agro-climatique du 21e siècle (Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, 2021). En touchant de nombreux agriculteurs sur l’ensemble du territoire français, cet événement a renforcé la volonté de l’Etat français et des assureurs privés de réformer le système de couverture des risques agro-climatiques.

Le système actuel repose sur une matrice à double entrée : l’entrée par le type de cultures ainsi que l’entrée par le niveau des pertes. Il est jugé complexe et fondé sur des considérations juridiques et techniques plutôt que sur la réalité des pertes des agriculteurs. Les franchises appliquées sont jugées élevées par les exploitants. Le subventionnement par l’État, pouvant aller jusqu’à 65 % de la prime d’assurance payée par l’exploitant à son assureur privé, ne joue pas son rôle d’incitation à l’achat de contrat multi risques climatiques et aujourd’hui, la France affiche un taux de couverture des exploitations agricoles par l’assurance privée de 18 %, avec une grande hétérogénéité entre les types de cultures (3 % en arboriculture, 31 % en grandes cultures par exemple) (Boucher et al., 2019; Folus et al., 2020). Notre voisin espagnol raconte une toute autre histoire avec un taux de subventionnement public de l’assurance privée proche du nôtre : les exploitants espagnols assurent 78 % de leurs surfaces en culture fruitière et 75 % de leurs cultures d’hiver (Koenig et al., 2022). De cette constatation a émergé la conclusion que le système français devait être réformé et que cette réforme pouvait s’inspirer du système espagnol.

Un nouveau programme de couverture plus équitable et incitatif

L’objectif de la réforme du système de gestion des risques agro-climatiques est ainsi d’inciter un plus grand nombre d’exploitants agricoles à s’assurer sur le marché privé, et de permettre l’accès à un fonds de solidarité nationale qui complèterait l’assurance privée en cas d’événement climatique exceptionnel.

Le nouveau programme de couverture des risques agro-climatiques adopté le 2 mars 2022 a ainsi plusieurs avantages comparé à l’ancien système. Tout d’abord, il n’a qu’une entrée, celle du montant des pertes lié à l’intensité de l’événement climatique qui les a générées. Par ailleurs, il s’appuie sur un scénario de gestion des risques à trois étages, bien connu dans le domaine de la gestion des risques majeurs :

  • un premier niveau de pertes rattaché à un aléa courant, donc non exceptionnel, qui doit être pris en charge par l’exploitant lui-même grâce à l’auto-assurance et à la protection de ses cultures.
  • un deuxième niveau de pertes dû à un aléa significatif, assez important pour justifier l’intervention de l’assurance privée, mais pas exceptionnel au point de faire intervenir l’État.
  • un troisième niveau de pertes lié à un aléa exceptionnel tel qu’un fonds de solidarité nationale (FSN) soit mobilisé pour compléter l’assurance privée.

    Enfin, le conditionnement du niveau de prise en charge par le FSN à l’achat préalable, ou non, d’assurance privée est une innovation majeure du nouveau régime de couverture. Le FSN interviendra pour les pertes au-delà du seuil de déclenchement à hauteur de 90 % si l’exploitant agricole a contracté une assurance privée au préalable, 45 % s’il ne s’est pas assuré.

    Toutefois, ce recours à l’assurance privée ne doit pas se faire au prix d’une réduction des investissements de protection, essentiels pour que le risque agro-climatique reste assurable dans le contexte de changement climatique que nous connaissons. Or cet investissement n’est pas considéré en tant que tel dans la réforme. C’est le talon d’Achille de la réforme.

    La protection, parent oublié d’un système efficace de gestion des risques ?

    L’investissement par l’agriculteur dans des mesures de protection de ses récoltes est coûteux au regard de ce que peut lui apporter l’assurance subventionnée. La question de la substituabilité/complémentarité entre les deux activités, d’assurance et de protection, devient alors cruciale. Une solution bien connue des économistes de l’assurance consiste à conditionner le montant de la prime unitaire d’assurance au montant des investissements en protection effectués par l’exploitant (installation de filets anti-grêle ou d’ombrières agricoles par exemple). Notre point ici est que ce conditionnement peut être inefficace, voire contre-productif, si la prime d’assurance est fortement subventionnée. L’investissement dans des techniques de protection des cultures fait baisser une prime d’assurance qui n’est pas supportée dans son intégralité par l’exploitant. Si l’on reprend le taux de subvention de 70 % annoncé par le président de la République (Cougard, 2022) et publié dans les tous premiers décrets parus - taux qui correspond à celui de la réglementation européenne Omnibus, et que l’on considère une baisse du taux de prime de 30 % pour un investissement en protection effectué au préalable par l’exploitant et validé par l’assureur, la baisse effectivement au bénéfice de l’exploitant ne sera que de 9 %. Ainsi, le subventionnement de la prime d’assurance diminue le bénéfice à la marge de la protection.

    Une alternative serait alors que le taux de subvention dépende directement des investissements en protection. Sous certaines conditions, notamment de technologie de protection suffisamment efficace, assurance privée et protection peuvent devenir complémentaires (Rozan et Spaeter, 2022). L’exploitant joue alors sur les deux tableaux pour réduire le montant de ses pertes potentielles : celui de la compensation par l’assureur et celui de la réduction directe des dommages par la protection. Dans ce nouveau dispositif, non retenu par la réforme alors qu’il pourrait en améliorer sensiblement l’efficacité selon nos travaux, plusieurs points doivent être discutés.

    Vers une plus grande coordination entre assureurs privés et l’Etat

    Le premier point concerne la technologie de protection. Certaines cultures sont plus compliquées à protéger que d’autres. Les arbres fruitiers, par exemple, peuvent difficilement être protégés contre des épisodes tardifs de gel tels que ceux observés en avril 2021 et à nouveau en avril 2022. Les prairies sont également plus difficiles à protéger d’une sécheresse. Ainsi, les taux de subvention de la prime d’assurance ne devraient pas être uniformes d’un type de culture à l’autre. Typiquement, la subvention devrait être à la fois plus importante en pourcentage et moins élastique aux investissements de protection pour ces cultures. Cette déclinaison des subventions au regard des types de cultures assurées, efficace sur le plan théorique, apporterait toutefois de la complexité à la mise en œuvre pratique de la réforme. Ainsi, un arbitrage entre simplicité et personnalisation devra être recherché. À ce jour, la réforme table sur un taux unique de subvention.

    Un second point important concerne la coordination nécessaire entre État et assureurs privés. Si les assureurs privés sont les seuls à considérer l’investissement dans la protection consenti par les exploitants, le subventionnement de la prime par l’État crée un effet d’arbitrage entre les activités d’assurance et de protection, ce qui n’est pas souhaitable. Pourtant, il n’est pas non plus souhaitable que l’État prenne seul en compte les investissements de protection. Le régime de couverture deviendrait alors un régime dans lequel l’État, donc le contribuable et l’Europe, finance les incitations à se protéger, tandis que l’assureur en récolte les bénéfices : les primes d’assurance qu’il encaisse ne diminuent pas car non indexées sur les investissements en protection, alors que les risques agro-
    climatiques qu’il a en portefeuille sont réduits. Il améliore ainsi son taux de marge en ne supportant pas le financement de la réduction des risques. Si l’assureur est une société anonyme, une partie de ces bénéfices sera redistribuée aux actionnaires. S’il s’agit d’une mutuelle, l’intégralité de la marge pourra alimenter les fonds propres et ainsi contribuer à la solvabilité de l’assureur. Toutefois, ce n’est pas l’objet de la réforme.

    Finalement, avant même l’entrée en vigueur de la réforme, nous appelons à une évolution de celle-ci. L’État doit effectivement subventionner au bon niveau la prime d’assurance pour que la France soit en capacité d’augmenter significativement le taux de diffusion de la couverture des risques agro-climatiques. Simultanément, les assureurs privés doivent conditionner la partie de la prime payée par l’exploitant aux investissements qu’il effectue dans des techniques de protection. Enfin, la subvention devrait encore être réfléchie en fonction des grands types de cultures, et donc de l’efficacité et de la disponibilité des différentes techniques de protection. Ces conditionnements nécessitent l’acquisition de données relatives aux investissements réalisés. Le pool d’assurance envisagé dans la réforme pourra faciliter la collecte et la centralisation de ces données pour ses membres assureurs et réassureurs. Nous pouvons ainsi imaginer qu’une culture qui peut être protégée efficacement bénéficierait d’une subvention d’assurance moindre de l’État mais d’une aide plus importante à l’investissement de protection. Il sera ainsi possible qu’assurance et protection soient considérés comme deux instruments complémentaires d’une gestion adaptée des risques agro-climatiques. Ceci permettrait également de générer une incitation supplémentaire à la diversification des cultures, incitation souhaitée par le rapport Descrozaille (2021).

     

    Boucher, L., L. Duval, M. Phélippé-Guinvarc’H, and E. Prudon (2019). Évaluation du programme national de gestion des risques et d’assistance technique (PNGRAT) et en particulier de l’assurance récolte. DECID&Risk, rapport pour le MAA, https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02481118.

    Cougard, M.-J. (2022). Macron annonce des mesures sur l’assurance attendues par les agriculteurs. Les Echos, 12 septembre.

    Descrozaille, F. (2021). Proposition d’un plan stratégique 2023-2030 pour la réforme des calamités agricoles et le développement des assurances récoltes. Varenne agricole de l’eau et du changement climatique - Rapport au Ministre de l’agriculture et de l’alimentation, 13 pages.

    Folus, D., P. Casal Ribeiro, B. Lepoivre, and A. Roumiguié (2020). L’assurance et la protection financière de l’agriculture. Annales des Mines - Réalités industrielles, février , 30–38.

    Koenig, R., M. Brunette, D. P., and C. Tevenart (2022). Assurance récolte en France: spécificité du régime et déterminants potentiels. Economie Rurale, 2 , 7–25.

    Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation (2021). Projet de loi portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture : Créer une protection universelle pour les agriculteurs face aux risques climatiques. Dossier de presse, 1er décembre, https://agriculture.gouv.fr/.

    Rozan, A. and S. Spaeter (2022). Quel équilibre entre protection ex ante et compensations ex post dans la réforme de l’assurance agro-climatique ? Working Paper 2022-30 BETA, Université de Strasbourg.