Agnès Bénassy-Quéré, professeure à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et à l'Ecole d'économie de Paris, membre du Cercle des économistes.
L’Europe va-t-elle passer à côté d’une opportunité historique ? Alors qu’une nouvelle Commission entrera en fonction le 1er novembre prochain, l’Union Européenne est confrontée à un double enjeu : macroéconomique et climatique. Sur le plan macroéconomique, les pays membres de la zone euro doivent trouver les moyens de doper une croissance atone, sans remettre en cause les grands équilibres financiers strictement définis par le traité de Maastricht. Sur le terrain climatique, il leur faut se mettre en ordre de bataille pour respecter les objectifs de réduction des émissions de CO2, fixés par l’accord de Paris. Réaliser ce double objectif n’est pas évident ! Pourtant, face à ce double défi, il existe une double fenêtre d’opportunité : d’une part, les taux d’intérêt extrêmement bas, qui ne dureront pas éternellement et devraient inciter à investir ; d’autre part, l’existence d’un objectif joint de réduction des émissions. Puisque l’engagement de Paris est solidaire entre les pays de l’UE (une réduction des émissions de 40% en 2030 par rapport à 1990), pourquoi ne pas financer les investissements de manière également solidaire, via la Banque Européenne d’Investissement (BEI) et un nouveau plan Juncker ? Cela nous éviterait d’avoir à toucher au Pacte de stabilité qui contraint les Etats, tout en dopant la demande qui en a bien besoin. Il n’y a qu’à voir l’inquiétude de la Banque Centrale Européenne (BCE) face à une inflation qui se refuse à remonter vers l’objectif de 2%. Pour atteindre cette cible, le Président Mario Draghi se dit prêt à assouplir la politique monétaire, via la relance des rachats de dettes publiques et l’abaissement du taux directeur de la BCE, déjà à zéro. En émettant davantage d’obligations « européennes », la BEI rendrait un grand service à la BCE qui pourrait les acheter dans le cadre de sa politique monétaire.
Est-ce la solution miracle ? Non, car pour que cela fonctionne, il faut que les investissements de la BEI comme ceux du secteur privé soient rentables, ce qui suppose… une tarification incitative des émissions de gaz à effet de serre. On peut facilement prédire le succès politique d’une résurrection de la taxe carbone. Il faudra pourtant en passer par un prix, qu’il s’agisse d’une taxe, d’une extension du marché des permis d’émission ou bien d’un durcissement des normes. Et pour éviter que la motivation des gouvernements ne fléchisse au cours du temps, on pourrait imaginer que les obligations émises par la BEI soient indexées sur les émissions de CO2 au niveau européen. Ainsi, la réduction des émissions allègerait la facture pour la BEI, au bénéfice de ses actionnaires qui ne sont autres que les Etats membres.
Cette tribune a été publiée dans Challenges le 4 Juillet 2019