Est-ce que la stabilité politique et le développement financier réduisent l’influence du risque climatique sur l’espace budgétaire ?

Nous analysons la relation entre le risque climatique et l'espace budgétaire. Pour ce faire, nous utilisons la méthode des projections locales afin d'examiner le rôle de la stabilité politique et du développement financier dans cette relation. Pour un large échantillon de plus de 100 économies observées sur la période 1995-2022, nous confirmons d'abord empiriquement que les risques climatiques affectent négativement les marges de manœuvre budgétaire. Nous constatons que ces effets sont plus prononcés pour les économies les plus vulnérables au changement climatique. Cependant, nos résultats indiquent que la stabilité politique et le développement financier peuvent atténuer ces effets. Si l'assainissement budgétaire est la clé pour atténuer l'effet négatif du risque climatique sur l'espace budgétaire, nos résultats suggèrent que la stabilité politique et le développement financier peuvent également y contribuer.

Le changement climatique, une menace pour les marges de manœuvre budgétaire ?

Les impacts socio-économiques négatifs potentiels du changement climatique entraînent des risques budgétaires substantiels, notamment en raison de leurs effets négatifs sur l'espace budgétaire, défini comme la capacité d'un État à mobiliser des ressources financières supplémentaires pour des priorités stratégiques, tout en respectant ses contraintes budgétaires. Par exemple, une catastrophe majeure causée par le changement climatique est susceptible de nécessiter d'importantes dépenses budgétaires pour les opérations de secours et de reconstruction. Ou encore, une chaleur extrême résultant du réchauffement climatique pourrait causer des dommages considérables à l'agriculture, obligeant les gouvernements à fournir des subventions aux agriculteurs durement touchés. Plus généralement, les dépenses publiques consacrées à l'adaptation au changement climatique et à l'atténuation de ses effets sont en passe de représenter l'une des principales sources de demande budgétaire dans le monde. Combinées à d'autres demandes socio-fiscales importantes, telles que celles liées au vieillissement de la population, les dépenses fiscales liées au changement climatique représentent une menace majeure pour l'espace fiscal et la viabilité fiscale à l'avenir.

Dans ce billet, nous reprenons les idées, concepts clés et principaux résultats de l’étude, coécrite avec John Beirne, Donghyun Park et Gazi Salah Uddin, disponible en accès libre.

La contribution originale de notre étude à la littérature est que nous examinons empiriquement le lien entre le risque climatique et la marge de manœuvre budgétaire. La littérature existante[i] étudie l’impact des risques climatiques sur la croissance économique (Oppenheimer et al., 2004 ; Tol et al., 2004 ; Mendelson et al., 2006 ; Diffenbaugh et Burke, 2019 ; Dasgupta et al., 2023) et sur les inégalités dans les pays en développement (Cappellia et al., 2021 ; Dasgupta et al., 2023).

Pour atténuer l'impact socio-économique du changement climatique et de la hausse des températures, les pays doivent disposer d'une capacité d'adaptation élevée (Tol et al., 2004), une économie diversifiée (Dissart, 2003), une stabilité politique (Dell et al., 2012) et un leadership institutionnel fort (Pike et al., 2010).

 

Une évaluation empirique utilisant la méthode des projections locales, à partir d’un large échantillon de pays 

Notre étude empirique repose sur la construction d’une base de données originale, pour un échantillon de 199 économies, sur la période 1990-2022. 

L’espace budgétaire est mesuré par deux variables : le rendement des obligations souveraines, d’une part, et la notation des principales agences sur la dette à long terme libellée en devise étrangère, d’autre part. Le rendement des obligations souveraines mesure la marge de main d’œuvre d’un État à lever des fonds pour financer les dédommagements induits par un choc climatique. La notation renvoie à la perception des marchés de la soutenabilité de la politique budgétaire.  Les chocs de vulnérabilité climatique sont établis à partir des indices construits par l’Université Notre Dame : le score de vulnérabilité mesure « la propension ou la prédisposition des sociétés humaines à subir les effets négatifs des aléas climatiques ». Une valeur élevée correspond à une plus grande vulnérabilité aux risques climatiques. Nous utilisons le changement dans l’indice de vulnérabilité en guise de choc. Nos variables qui agissent comme des facteurs d’atténuation sont le développement financier et la stabilité politique. Le développement financier est mesuré par le Fonds Monétaire International. Enfin, la stabilité politique est mesurée par le PRS group.

Nous utilisons l'approche des projections locales pour examiner empiriquement les effets des chocs de vulnérabilité sur nos deux mesures de l'espace budgétaire. L'approche des projections locales permet entre autres : (i) l'estimation des réponses impulsionnelles pour chaque horizon, sans restrictions intertemporelles ; (ii) l’adaptation à des modélisations non linéaires ; et (iii) la facilité de mise à l'échelle des données de panel. 

 

Par quels mécanismes et canaux les chocs de vulnérabilité sont-ils susceptibles d’affecter l’espace budgétaire ?

Les économies les plus vulnérables aux changements climatiques sont susceptibles de voir l’impact des chocs de vulnérabilité affecter plus fortement l’espace budgétaire, tel qu’il est mesuré dans cette étude.

Hypothèse 1 : Les risques climatiques affectent négativement la marge de manœuvre budgétaire (rendements obligataires plus élevés (prime de risque climatique) / notations souveraines plus faibles).

De plus, dans une économie financièrement bien développée, les entreprises et les ménages auront accès à l'assurance et à d'autres instruments financiers qui les protègent des effets négatifs des chocs climatiques. Ceci, à son tour, réduit la nécessité de dépenses budgétaires importantes et atténue donc l'effet négatif sur la marge de manœuvre budgétaire. En outre, le développement financier augmente le montant du crédit disponible pour les entreprises et les ménages afin de les aider à amortir l'impact des chocs climatiques potentiels.

Hypothèse 2 : Le développement financier est un facteur d'atténuation de la prime de risque climatique : perception d'une meilleure capacité à faire face à la transition et aux risques physiques.

La stabilité politique est susceptible d'atténuer ces risques, car elle augmente la probabilité d'une politique budgétaire plus durable, par exemple, sous la forme d'un cadre budgétaire à moyen terme plus solide. Par conséquent, un environnement politique plus stable peut réduire l'impact des chocs climatiques et d'autres chocs sur la viabilité budgétaire. 

Hypothèse 3 : L'instabilité politique (conflits, tensions religieuses, stabilité du gouvernement, etc.) induit une perception d'une plus faible capacité à faire face aux risques de transition et aux risques physiques.

 

Un choc aléatoire unitaire de la vulnérabilité entraîne une augmentation des rendements des obligations souveraines de l’ordre de 0,5 à 1 %. Une plus grande stabilité politique, ainsi qu’un meilleur développement financier, permet d’atténuer l’impact des chocs sur l’espace budgétaire.

Le résultat central de cette étude est qu’un choc aléatoire unitaire de la vulnérabilité entraîne une augmentation des rendements des obligations souveraines de 0,5 à 1 % (figure 1). De plus, un choc aléatoire unitaire de la vulnérabilité provoque, au maximum, l’abaissement d’un cran les notations à l'horizon de 1 à 2 ans. Ce résultat conforte le mécanisme évoqué dans l’Hypothèse 1.

Dans les figures 2 et 3, les Hypothèses 2 et 3 sont confortées par les résultats des estimations pour les fonctions de réponse impulsionnelles. Une plus grande stabilité politique et un meilleur développement financier permettent d’atténuer l’impact des chocs de vulnérabilité au climat sur l’espace budgétaire tel qu’il a été défini dans cette étude.

Figure 1. Impact d’un choc de vulnérabilité sur le rendement des obligations (en point de pourcentage)

Source : Beirne et al. (2024).

Lecture : à l’horizon de 2 ans, un choc de vulnérabilité entraîne une augmentation du rendement des obligations souveraines de 0,5 pour cent, avec une valeur minimale de 0,2 et une valeur maximale de 0,8 au seuil de confiance de 95 %.

 

Figure 2a. Impact en point de pourcentage d’un choc de vulnérabilité sur le rendement des obligations en fonction de la vulnérabilité (seuil Q1 pour la vulnérabilité)

Source : Beirne et al. (2024).

Lecture : sur le graphique de gauche, à l’horizon de 2 ans et pour une forte vulnérabilité (au-dessus du premier quartile pour le score de vulnérabilité), un choc de vulnérabilité entraîne une augmentation du rendement des obligations souveraines de 0,6 pour cent, avec une valeur minimale de 0,2 et une valeur maximale de 1,05 au seuil de confiance de 95 %.

Figure 2b. Impact en point de pourcentage d’un choc de vulnérabilité sur le rendement des obligations en fonction du développement des institutions financières (seuil Q3 pour le développement des institutions financières).

Source : Beirne et al. (2024).

Lecture : sur le graphique de droite, à l’horizon de 2 ans et pour un faible développement financier (en dessous du troisième quartile pour le développement des institutions financières), un choc de vulnérabilité entraîne une augmentation du rendement des obligations souveraines de 0,7 pour cent, avec une valeur minimale de 0,27 et une valeur maximale de 1,1 au seuil de confiance de 95 %.


 

 

Figure 3. Impact en point de pourcentage d’un choc de vulnérabilité sur le rendement des obligations en fonction des tensions religieuses (seuil Q3 pour les tensions religieuses)

 

Source : Beirne et al. (2024).

Lecture : pour la courbe et les zones en bleues, à l’horizon de 2 ans et pour un faible niveau de tensions religieuses (en dessous du troisième quartile pour l’indicateur de tensions religieuses), un choc de vulnérabilité entraîne une augmentation du rendement des obligations souveraines de 0,8 pour cent, avec une valeur minimale de 0,34 et une valeur maximale de 1,27 au seuil de confiance de 95 %. Après 1 an, les différences sont statistiquement significatives.

 

Conclusion et perspectives

Le message central de cette étude empirique indique que la promotion d’un développement financier harmonieux et de la stabilité politique a permis de contenir l’influence négative du risque climatique sur l’espace budgétaire. Nous entrons dans un monde dans lequel les chocs d’offre (climatiques, géopolitiques, démographiques) vont se multiplier. L’étude des asymétries face à la vulnérabilité climatique et son interaction avec la prévention des conflits constitue un champ de recherche prometteur et utile pour les responsables des politiques économiques.

 

Pour aller plus loin

Bénassy-Quéré, A. (2024). The policy mix in a world of supply shocks. Speech at the University of Bordeaux, Bordeaux, 3 October 2024, https://www.bis.org/review/r241106e.htm 

Gomez-Gonzalez, J. E., Uribe, J. M., & Valencia, O. M. (2025). Asymmetric sovereign risk: Implications for climate change preparation. World Development188, 106908.

Mueller, H., Rauh, C., Seimon, B., & Espinoza, R. A. (2024). The Urgency of Conflict Prevention — A Macroeconomic Perspective. IMF Working Papers 2024, 256 (2024), accessed January 11, 2025, https://doi.org/10.5089/9798400293832.001
 


[i] Voir les références dans notre article.