A-t-on oublié les leçons de la crise bancaire de 2008 ?

Silvergate, SVB, Crédit suisse… les mouvements de retraits massifs de dépôts dans des banques américaines et dans une banque suisse ont remis au-devant de la scène la fragilité des institutions bancaires en période de remontée des taux d’intérêt. Dans ce billet, nous revenons sur les origines des crises bancaires récentes et sur leur mode de résolution. Nous montrons que les leçons de la crise bancaire de 2008 ont été en partie oubliées et que les mécanismes de renflouement adoptés sont une entorse au principe de responsabilité ultime des actionnaires.

Petit retour historique

Les banques allemandes IKB et Sachsen LB puis la banque britannique Northern Rock furent les premières victimes de la crise financière qui débuta véritablement en août 2007 par le gel du marché interbancaire. La crise bancaire puis financière s’étala ensuite par vagues successives, chacune entrecoupée du soulagement de penser la crise jugulée. En mars 2008, il fallut moins d’une semaine pour que Bear Stearns, la cinquième banque d’investissement américaine, à court de liquidité ne soit rachetée in extremis, à bas prix, par JP Morgan Chase, six mois plus tard chacun se rappelle du chaos financier qui accompagna la faillite de Lehman Brothers.

Il est légitime de se demander si dans quelques années les défauts de Silvergate, SVB, Signature et le rachat à bas prix de Crédit Suisse par UBS seront considérés comme ayant marqué le début d’une nouvelle crise bancaire.

Des crises aux racines différentes, mais une conséquence commune : une fuite massive et rapide des dépôts nécessitant l’intervention des autorités prudentielles

Bien sûr les racines des difficultés des banques régionales américaines et de Crédit suisse sont bien différentes, même si dans les deux cas la conséquence a été une fuite massive et très rapide de dépôts nécessitant l’intervention des autorités publiques et des apports massifs en liquidité par leur banque centrale respective.

Silvergate était considérée comme une crypto-banque du fait de sa spécialisation depuis une dizaine d’années dans l’offre de services bancaires au monde des cryptos, d’abord sur le bitcoin puis plus généralement sur les crypto-actifs. C’est le krach des cryptos de 2022, et plus précisément la faillite de FTX en novembre 2022, qui a fini par l’emporter. SVB était quant à elle spécialisée dans le financement de projets et de start-ups via ses activités de capital investissement et de capital risque. Or, ce secteur de la Tech a été fortement fragilisé par la remontée rapide des taux d’intérêt (moindre capacité à lever des capitaux, financement plus coûteux) ce qui l’a rendu plus prompt à retirer ses dépôts accumulés dans la période faste de levées de fonds faciles et peu sélectives.  Pour faire face à un besoin urgent de liquidité, SVB a dû liquider dans l’urgence un portefeuille obligataire de près de 21 milliards de dollars prenant au passage une perte de 1,8 milliards. En réaction, des investisseurs de référence dans le monde du capital risque ont conseillé aux entreprises avec lesquelles ils sont en affaire, de sortir leurs fonds de SVB provoquant une fuite massive de dépôts et donc les conditions d’une possible faillite.

Le cas de Crédit Suisse est très différent. Il s’agit d’une des 30 banques considérées comme systémiques par le Conseil de Stabilité Financière et dont on connaissait la fragilité résultant d’une culture de la gestion des risques déficiente, un peu sur le modèle de la Deutsche Bank. Crédit Suisse était enlisé depuis plusieurs années dans des scandales financiers à répétition : blanchiment, fraude et évasion fiscale, corruption, espionnage de ses salariés… et dans des investissements hasardeux. En février 2023, Crédit Suisse avait annoncé une perte de 7,3 milliards de francs suisses pour l’exercice 2022 et une perte « substantielle » à prévoir pour l’exercice 2023 dans un contexte marqué par des fuites importantes, mais à bas bruit, de dépôts. Au dernier trimestre 2022, les clients de Crédit Suisse ont retiré plus de 110 milliards de dépôts. La semaine précédant son acquisition par UBS l’hémorragie de dépôts s’élevait à 10 milliards par jour !

Une réaction rapide et ample des autorités prudentielles américaines, en rupture avec leur action pendant la crise de 2007-2008

La rapidité et l’ampleur des réactions des banques centrales, des trésors publics concernés et de l’assurance dépôts américaines témoignent d’une vive inquiétude, en dépit des déclarations rassurantes habituelles dans ce type de circonstances.

Parmi les mesures marquantes déployées pour traiter les faillites de banques régionales aux États-Unis et juguler la contagion, citons « pour exception de risque systémique » une garantie de tous les dépôts de SVB, quel que soit leur montant, alors que, pour juguler l’aléa moral, la garantie est normalement limitée à 250 000 $. On a depuis appris que les 10 plus gros comptes de dépôts de SVB s’élevaient à un montant agrégé de 13,3 milliards de dollars ! La Fed a également créé, à côté de la fenêtre de l’escompte, une nouvelle facilité d’accès à la liquidité, le « Bank Term Funding Program » (BTFP) dont l’innovation majeure est de prêter de la liquidité contre des « titres de dette de haute qualité » pris comme collatéral, non à leur valeur de marché dépréciée par la hausse des taux d’intérêt, mais à leur valeur faciale. Il s’agit clairement d’une subvention considérable accordée par la Fed au système bancaire américain. Si une telle décision avait été prise par la BCE en faveur des banques grecques en 2011, la crise de la dette souveraine aurait probablement pris une autre tournure et le fonctionnement de la zone euro en aurait été modifié.

Ces deux mesures (extension de l’assurance dépôts à tous les dépôts sans limite de montant et BTFP) contreviennent clairement aux engagements pris après la crise de 2007-2008 pour limiter l’aléa moral et préserver l’argent des contribuables.

La résolution de Crédit Suisse, également en rupture avec les principes de bonne gestion des crises bancaires

De la même manière, la résolution de Crédit Suisse transgresse les principes de résolution bancaires adoptés après la crise de 2008 dont les objectifs étaient de discipliner les banques et leurs actionnaires. De nouveau, l’argument de la maîtrise de l’aléa moral est central. La crise de 2008 a illustré à quel point la responsabilité limitée des actionnaires crée des incitations perverses aux prises de risques excessives, pour doper le rendement des fonds propres. En effet, les actionnaires perdent au maximum leur mise car ils ne sont pas responsables des dettes non honorées en cas d’épuisement du capital. C’est précisément pourquoi, faute d’avoir contraint les banques à des niveaux de capitalisation règlementaire suffisants pour véritablement protéger l’économie des faillites bancaires, ont été créés les dispositifs de bail in (renflouement interne) par opposition au bail out (renflouement par l’État). L’idée est celle d’une série de digues de protection à activer dans un ordre préétabli et connu des actionnaires et créanciers, de sorte que le contribuable ne soit plus en première ligne pour renflouer les banques. Dans ce schéma de résolution, afin de contrer les incitations perverses des actionnaires bancaires à fermer les yeux sur les prises de risques excessives, les actionnaires doivent être « lessivés » c’est-à-dire absorber les premières pertes avant l’activation des titres de dette contingente AT1 (Additional Tier 1) puis en cascade Tier 2 et Tier 3. Dans le cas de Crédit Suisse les détenteurs de titres de dette AT1 ont vu leur valeur effacée pour 16 milliards de francs suisses avant que les actionnaires n’aient tout perdu. Cette transgression dans la hiérarchie de l’absorption des pertes a entrainé de fortes instabilités sur le marché des dettes bancaires subordonnées et conduit la BCE et les autorités de supervision à rapidement réaffirmer que si une banque du continent devait un jour entrer en résolution, les actionnaires seraient bien « plumés » avant les créanciers. Par ailleurs, le gouvernement suisse a apporté une garantie de 9 milliards de francs suisses à UBS – soit un engagement de 12 500 euros par habitant selon les calculs de Bloomberg – pour des pertes éventuelles sur certains actifs qui dépasseraient une première tranche de pertes de 5 milliards à la charge d’UBS, alors même que de l’avis des analystes du secteur bancaire, UBS a fait une excellente affaire avec le rachat de sa concurrente directe.  Notons pour la petite histoire qu’UBS avait été elle-même été renflouée par le contribuable suisse en 2008…

Une action coordonnée des banques centrales qui atteste d’une inquiétude grandissante

Ces multiples entorses, des deux côtés de l’Atlantique, aux règles collectivement adoptées pour gérer les crises bancaires après la crise de 2008 et juguler l’aléa moral, traduisent probablement une profonde inquiétude des pouvoirs publics et des banques centrales quant à la fragilité du secteur bancaire dans le contexte de remontée des taux d’intérêt. La décision prise le dimanche 19 mars 2023 au soir par la Fed et cinq autres banques centrales (Banque du Canada, Banque du Japon, Banque d’Angleterre, BCE et Banque Nationale Suisse) d’une action coordonnée rendant quotidiennes et non plus hebdomadaires les opérations de swaps à 7 jours en dollar américain, afin que les banques centrales soient outillées pour répondre rapidement aux besoins de liquidités en dollars hors des États-Unis, atteste de cette inquiétude grandissante. Ce type d’action coordonnée, qui fut centrale dans la gestion de la crise bancaire à l’automne 2008, vise à se substituer à l’absence formelle de prêteur en dernier ressort au niveau international et créant un dispositif qui la pallie.

Cette inquiétude nous questionne : les règles de Bâle en liquidité et en capital censées nous protéger des faillites bancaires ne seraient-elles pas suffisamment protectrices ? Aurions-nous cédé aux pressions de l’industrie bancaire pour alléger les contraintes règlementaires ? Aurions-nous raté le coche de réformes plus protectrices notamment celle de la séparation des activités bancaires ?

Gageons que l’histoire n’est pas terminée et que les mois à venir apporteront des réponses à ces interrogations…