Retenues d’eau et santé des enfants en Afrique subsaharienne : faire reculer la malnutrition au risque d’exposer les enfants au paludisme ?

Lauréat d’une mention spéciale du prix de l’AFSE 2023 pour sa thèse intitulée ”Improving Child Health in Sub-Saharan Africa; Three Essays in Microeconometrics”, préparée et soutenue à l’Université Paris-Dauphine sous la direction de Marta Menéndez et d’Elodie Djemaï, Yohan Renard présente dans ce billet les résultats d’une étude microéconométrique de l’impact des retenues d’eau en Afrique subsaharienne sur la santé des enfants. Il montre que ces retenues d'eau ont un effet contrasté : si la malnutrition chronique chez les jeunes enfants recule aux alentours des retenues d'eau, le risque de transmission du paludisme s'y accroît et le risque de mortalité infantile y est plus élevé qu’ailleurs.

L'amélioration de l'état de santé dans le monde est considérée, avec l'éducation, comme l'un des piliers de la prospérité partagée. Il est désormais largement admis que la pauvreté est à la fois une cause et une conséquence d’un mauvais état de santé : la pauvreté augmente le risque de mauvaise santé, tandis que la mauvaise santé piège les individus dans la pauvreté. La lutte contre la mauvaise santé est ainsi intimement liée à la lutte contre la pauvreté.

Mauvaise santé et pauvreté, un lien autoentretenu qui appelle une intervention des pouvoirs publics

La relation entre mauvaise santé et pauvreté est en partie due aux contraintes financières qui pèsent sur les individus. Les pauvres n'ont généralement pas les moyens d'investir dans leur santé, tant à titre préventif que curatif, notamment en consommant des quantités suffisantes de nourriture pour satisfaire leurs besoins nutritionnels quotidiens de base. Toutefois, au-delà des contraintes financières, de nombreux facteurs rendent cette relation particulièrement saillante, notamment les faibles niveaux d'éducation, le manque d'information sur les maladies et les moyens de les prévenir, l’information incomplète sur les avantages et coûts des investissements dans la santé, des facteurs environnementaux défavorables entraînant une plus grande exposition aux maladies infectieuses ainsi qu’une plus faible capacité des pauvres à faire valoir leur droit à la santé. 

En parallèle, les effets négatifs d'un mauvais état de santé, en particulier lors de la petite enfance, sont nombreux et sont notamment observés sur le marché du travail, la productivité agricole, le niveau d'éducation atteint et plus généralement sur le statut socio-économique, faisant de l'état de santé un déterminant essentiel de la pauvreté. Les ménages peuvent également basculer dans la pauvreté du fait de dépenses de santé catastrophiques les amenant à épuiser leurs économies et à vendre leurs actifs. 

Cette trappe à pauvreté associée à la mauvaise santé appelle une intervention des pouvoirs publics, d'autant plus justifiée que le secteur de la santé souffre d'importantes défaillances de marché (Ghosh 2008, Dupas 2014). Si les pouvoirs publics peuvent intervenir pour pallier ces défaillances, leur participation à la poursuite de l’optimum social s’avère très inégale d’un pays à l’autre. 

Les pays d’Afrique subsaharienne sont confrontés à des taux de mortalité infanto-juvénile dramatiquement élevés

Bien que des avancées majeures aient incontestablement été enregistrées au cours des quarante dernières années, la plupart des pays d'Afrique subsaharienne sont encore loin d’atteindre l’objectif de santé pour tous initié en 1978 lors de la Déclaration d’Alma-Ata. Les taux de mortalité chez les jeunes enfants y restent dramatiquement élevés (voir cartes ci-dessous), les pathologies dites évitables et soignables y demeurent la première cause de décès et de nouveaux défis remettent en question la capacité de leurs systèmes de santé à répondre aux besoins de la population.

 

Évolution du taux de mortalité chez les moins de 5 ans pour 1 000 naissances vivantes

 

Mes travaux de thèse s’inscrivent dans la poursuite des efforts de recherche destinés à fournir des preuves empiriques afin d’informer les politiques publiques. L’objectif général est d’identifier et de mieux comprendre certains facteurs qui favorisent ou, au contraire, ralentissent l'amélioration de la santé des enfants en Afrique subsaharienne. Ma thèse apporte ainsi un éclairage nouveau sur plusieurs enjeux liés à l'amélioration de l'état de santé des jeunes enfants, tels que l'accès aux soins, les comportements de santé des ménages ou encore les effets sanitaires du développement d'infrastructures économiques telles que les retenues d'eau, et ce dans des contextes où les ressources demeurent limitées.

Les retenues d’eau, un enjeu de santé publique…

La question des effets sanitaires des retenues d’eau illustre particulièrement la complexité des enjeux auxquels sont confrontés les pouvoirs publics en Afrique subsaharienne. Au même titre que les routes par exemple, les retenues d’eau sont perçues comme essentielles pour stimuler le développement, en particulier sur le sous-continent où l’accès à l’eau reste un défi. Des investissements majeurs ont été consentis dans ce domaine depuis une cinquantaine d'années, avec l'appui d'organisations internationales telles que la Banque Mondiale. Que ce soit pour l'irrigation, le bétail, l'utilisation domestique, la prévention des inondations, le secteur minier ou la production hydroélectrique, les retenues d'eau se sont fortement développées sur cette période.

Une part de plus en plus importante de la population devrait d’ailleurs dépendre des retenues d'eau dans un futur proche, avec un rôle croissant des solutions de stockage de l'eau face au changement climatique. Leur développement au cours des années à venir est ainsi un objectif affiché de l'Union Africaine. Si leur contribution à la production hydroélectrique – plus de 20% de la production électrique totale en Afrique subsaharienne en 2015 (Banque Mondiale 2022) -- et à l'irrigation est indéniable, la presse et plusieurs organisations non-gouvernementales se font régulièrement l'écho des effets délétères de la construction de retenues d'eau pour la population locale et l'environnement. 

… aux effets théoriques ambigus

D’un point de vue théorique, l’effet des retenues d’eau sur la santé de la population locale est ambigu : 

  •      Elles peuvent s’accompagner de retombées positives, en constituant des sources d’eau supplémentaires à même de générer un effet richesse positif (hausse de la production agricole, baisse du coût d’opportunité associé au fait de s’approvisionner en eau). Si un tel effet richesse se manifeste, le statut nutritionnel et plus largement l'état de santé moyen des enfants pourraient s'améliorer à proximité des retenues d'eau.
  •     Cependant, elles peuvent également s’accompagner d’effets néfastes pour la santé des individus vivant à proximité. Les retenues d'eau conduisent notamment à une augmentation de la salinité des sols, qui, en altérant la productivité agricole, peut conduire à un effet de richesse négatif. Elles constituent également des sources d'eau potentiellement contaminées par des parasites ou des produits phytosanitaires, qui peuvent conduire à des maladies hydriques telles que le choléra ou des diarrhées. Les retenues d'eau créent également des surfaces d’eau stagnante favorables au développement des moustiques, responsables de la transmission de maladies endémiques comme le paludisme ou la dengue. Enfin, la construction de grandes retenues d'eau peut engendrer le déplacement forcé de la population locale, pouvant conduire à un appauvrissement des ménages en raison de la perte de leurs terres et de leur cercle social, ainsi qu'à des effets néfastes importants en matière de santé mentale. 

Comment démêler empiriquement les effets causaux des retenues d’eau sur la santé des enfants ?

Un chapitre de ma thèse se propose de démêler empiriquement les effets causaux des retenues d'eau sur la santé des enfants de moins de cinq ans vivant aux alentours. L'Afrique subsaharienne est un terrain particulièrement approprié pour étudier cette question : l'accès à l'eau y demeure problématique, la pauvreté y reste galopante, le statut nutritionnel de la population reste parfois très précaire, et les enjeux liés au paludisme et au changement climatique y sont prépondérants.

Ce chapitre investigue non seulement l'effet agrégé sur le risque de mortalité infantile, mais tire également profit de la richesse des données d’enquête ménages mobilisées pour quantifier les effets des retenues d'eau sur le statut nutritionnel des enfants ainsi que leur exposition au paludisme. Ces données d’enquêtes ménages, collectées dans 34 pays subsahariens sur la période 1986-2020, sont combinées à des données issues de l’imagerie satellitaire utilisées pour reconstituer le réseau hydrologique subsaharien, calculer la pente des cours d’eau, puis localiser et dater la construction de plus de 11 000 retenues d’eau en Afrique subsaharienne. 

Le défi méthodologique de ce travail réside dans la localisation non-aléatoire des retenues d'eau sur le territoire. De nombreux facteurs inobservables déterminant la localisation des retenues d’eau peuvent également avoir un effet direct sur la santé des jeunes enfants. Certaines localités peuvent ainsi voir construire des retenues pour tout un ensemble de raisons, notamment politiques et stratégiques, dont il est difficile de tenir compte dans l’estimation. 

Pour remédier à cette endogénéité, l'analyse s'inscrit dans la lignée du travail précurseur de Duflo et Pande (2007) fondé sur l'ingénierie des retenues d'eau. L'idée est d'utiliser la pente des cours d'eau comme source exogène de variation quant à la capacité de l'environnement local à accueillir une telle infrastructure à travers une approche par variable instrumentale. Si la nature locale de cette approche est habituellement problématique, elle permet au contraire ici de mesurer les effets d’une localisation optimale des retenues d’eau selon un critère de faisabilité technique, ce qui la rend plus informative que l’estimation d’un effet de traitement moyen. 

Les retenues d’eau ont un effet contrasté sur la santé des enfants, faisant reculer la malnutrition mais accroissant le risque de paludisme

Les résultats obtenus suggèrent un effet contrasté des retenues d'eau sur la santé de la population locale : si la malnutrition chronique chez les jeunes enfants recule aux alentours des retenues d'eau, le risque de transmission du paludisme s'y accroît et le risque de mortalité infantile y est plus élevé qu’ailleurs. Les adultes ne sont pas épargnés : leur risque d'être sévèrement anémié, l'un des symptômes du paludisme, augmente également avec la proximité d'une retenue d'eau. 

Ces résultats ont des implications importantes en termes de politique publique. Bien que les retenues d'eau accroissent l'exposition au paludisme, leur construction ne doit pas pour autant être bannie de l'agenda des gouvernements et organisations internationales. Les résultats suggèrent en effet que ces infrastructures génèrent des effets économiques substantiels ainsi qu'une réduction de la malnutrition chronique chez les enfants vivant aux alentours.

En revanche, les localités dotées de ces retenues doivent être la cible de politiques complémentaires visant à atténuer leurs effets néfastes en matière d'exposition au risque de paludisme pour la population locale. Cela peut notamment passer par une intensification des campagnes de prévention dans ces localités, et par le développement de nouveaux outils de prévention en complément des moustiquaires afin d'assurer une protection plus efficace contre les piqûres de moustique. Ainsi, dans un travail en cours avec Élodie Djemaï (Université Paris-Dauphine), nous évaluons l’impact d’un nouveau dispositif de protection face au paludisme mis en place au Burkina Faso (plus d’information ici : https://fundinnovation.dev/projects/evaluation-de-l-impact-d-un-baume-anti-moustiques-sur-le-paludisme-au-burkina-faso). 

 

Références

Banque Mondiale (2022). World Development Indicators. Disponibles à partir du lien suivant : https://data .worldbank.org/indicator

Duflo, E. et Pande, R. (2007). Dams. The Quarterly Journal of Economics, 122(2):601– 646. 

Dupas, P. (2014). Pricing and user fees. In Culyer, A. J., editor, Encyclopedia of Health Economics, pages 136–141. Elsevier, San Diego. 

Ghosh, B. N. (2008). Rich doctors and poor patients: Market failure and health care systems in developing countries. Journal of Contemporary Asia, 38(2):259–276.