Réforme paramétrique des retraites : aller au-delà de l’âge et de la durée

L’exécutif est décidé à dégager d’importantes économies sur les retraites, par le biais d’une réforme paramétrique augmentant l’âge légal ou la durée d’assurance. Cette réforme répond à une double nécessité, car les retraites coûtent pour ainsi dire deux fois : non seulement elles représentent une part massive du PIB et des dépenses publiques, mais le départ relativement précoce à la retraite diminue le taux d’activité, et donc la richesse produite par le pays. Dans un contexte de faible hausse des gains de productivité, seule une hausse du taux d’emploi permet d’augmenter le pouvoir d’achat des Français et de financer les services publics (éducation, santé, défense, transition verte…). Emmanuel Macron a renoncé à une réforme systémique comme en 2019-2020, mais cette réforme peut néanmoins permettre d’améliorer la clarté et l’équité globale de certains paramètres du système.

Tout d’abord, il est indispensable de prendre en compte l’équilibre financier réel du système de retraites. Une partie du déséquilibre financier est cachée par le régime des fonctionnaires de l’État : les pensions de la fonction publique de l’État (FPE) représentent aujourd’hui 2 % du PIB, soit environ 14 % des dépenses de retraite alors que la FPE ne représente que 9 % des actifs en emploi. Ces dépenses sont financées par un taux de cotisation employeur pour la retraite de 74 % dans la FPE mais cette cotisation n’est que le ratio entre le besoin de financement et les traitements des agents. On peut donc estimer que si l’État cotisait normalement, le déficit actuel du système de retraite, plutôt modeste, serait en fait beaucoup plus massif. C’est l’argumentaire développé par Sophie Bouverin dans la revue Commentaire, qui soutient que le « déficit caché » des pensions de l’État serait en fait de 30 Md€[1], et s’ajouterait à celui de l’ensemble des autres régimes pour estimer le vrai besoin de financement du système. Ce surcoût est dû à plusieurs facteurs, comme une générosité marquée par le passé mais réduite depuis 20 ans (retraite anticipée des instituteurs et mères de familles nombreuses par exemple) que l’État doit encore financer, ainsi qu’une part importante de catégories actives dont les pensions sont financées directement par le SRE sans caisse dédiée (sauf pour les militaires). Il serait logiquement préférable d’isoler le coût de la générosité passée et des catégories actives, plutôt que de le faire reposer, même fictivement, sur les fonctionnaires en activité, notamment les sédentaires, pour ne pas leur donner l’illusion que ces cotisations seraient un salaire différé quand ce n’est pas le cas.

Surtout, le régime des fonctionnaires d’État sert de facto de caisse de défaisance avec une démographie défavorable, laissant une meilleure démographie aux autres régimes pour être équilibrés. Lorsqu’un régime transfère des cotisants à un autre tout en continuant de payer des pensions, il reçoit normalement une soulte ou une subvention d’équilibre. Pourtant, alors que l’État a transféré des agents aux collectivités locales (cotisants à la CNRACL), a privatisé la Poste et France Télécom ou a recruté davantage de contractuels (cotisant à la CNAV pour la retraite de base et à l’Agirc-Arrco ou l’Ircantec pour la retraite complémentaire), il ne reçoit pas de subvention d’équilibre[2]. De cette façon, l’État permet à d’autres régimes (CNRACL, CNAV, Agirc-Arrco, Ircantec, etc.) de bénéficier temporairement de nouveaux cotisants sans avoir à payer de pensions. Il y a donc bien un déséquilibre démographique caché dans la FPE, dû à l’absence de compensation. S’il serait politiquement difficile de demander au privé de « payer pour le public », il est néanmoins légitime de leur demander de dégager des marges financières correspondant à leur démographie anormalement favorable, pour participer au financement de leurs mesures de solidarité, qui sont actuellement financées par l’État. Dégager ces marges soulagerait le budget de l’État, mais nécessite un durcissement des conditions de départ.

L’âge dérogatoire des régimes spéciaux et des catégories actives doit être fortement durci, mais il n’est pas souhaitable de supprimer complètement ce mécanisme pour les nouveaux entrants de ces métiers (on parle de clause de grand-père). En faisant reposer les efforts sur les générations entrantes, il devient encore plus difficile de demander des efforts aux agents en place – alors qu’ils n’en ont pas consenti. Il n’est de plus pas tenable de faire cohabiter durablement les anciens et les nouveaux agents avec des avantages non salariaux si différents pour exercer le même métier, sans toucher aux salaires[3]. Il vaut mieux réduire plus graduellement ces avantages, y compris pour les agents déjà en poste, en les conservant en partie en reconnaissance de la spécificité, des rythmes et des conditions de certains métiers. Si l’on décide de décaler de 62 à 64 ans l’âge légal normal, on pourrait par exemple augmenter celui des infirmières, des éboueurs et des douaniers de 57 à 60 ou 61 ans, et celui des policiers de 52 à 56 ou 58 ans.

La double condition d’âge et de durée d’assurance est complexe et peu équitable, et il serait préférable de la remplacer par une condition mixte combinant ces deux facteurs, via une double décote-surcote. Le critère de durée de cotisation peut sembler le plus juste pour favoriser les salariés modestes qui ont en moyenne commencé à cotiser plus tôt, mais la corrélation entre trimestres validés, niveau de vie et espérance de vie (ou de vie en bonne santé) est imparfaite, ce qui en fait un outil insuffisant[4]. Cette double condition est aussi source d’anxiété : certaines personnes peuvent racheter des trimestres pour partir à l’âge légal, et se retrouver avec des trimestres en trop, sans surcote, si on augmente ensuite l’âge légal sans toucher à la durée. Pour gagner en flexibilité, il suffirait de passer à une logique de double décote-surcote. Au lieu d’une surcote de 5 % par année supplémentaire (après l’âge légal), on pourrait, à la place, instaurer une décote-surcote de 2 ou 3 % par an au titre de la durée cotisée, et de 4 ou 6 % par an au titre de l’âge. Ainsi, s’il manque 3 ans de cotisations pour partir à l’âge légal, la surcote liée à une prolongation d’un an pourrait annuler la décote liée à 2 années manquantes. A contrario, pour ceux qui ont commencé tôt et ont validé des annuités supplémentaires au titre de la pénibilité, c’est la surcote liée aux annuités qui compenserait un départ anticipé, entre 60 et 62 ans. Mais si l’on souhaite réellement inciter à la poursuite d’activité – notamment des cadres –, il faut aussi une vraie surcote dans les régimes complémentaires, qui bénéficient eux aussi d’un report des départs.

Enfin, l’équité intergénérationnelle nécessite de demander un effort aux retraités actuels : beaucoup sont partis anormalement tôt (retraite à 60 ans, catégories actives, préretraites) avec de très bonnes pensions, ce qui leur assure un rendement très supérieur à celui dont bénéficieront leurs enfants, mais aussi un niveau de vie supérieur à celui de l’ensemble de la population. Il y a des retraités modestes, mais il y a beaucoup de retraités aisés qui peuvent partager le fardeau des économies à réaliser. Si l’on décide d’augmenter d’un trimestre par an l’âge légal ou la durée de cotisation requise, pourquoi ne pas réduire en parallèle de 1 % par an les pensions servies à ceux partis avant, par mesure d’équité ? Aligner le taux de CSG appliqué aux retraites sur celui des salaires dégagerait également des revenus importants pour financer l’autonomie ou les dépenses de santé. Enfin, on pourrait tout à fait plafonner ou supprimer l’abattement de 10 % des retraites à l’impôt sur le revenu, pour frais professionnels. Cela n’a pas de justification économique valable, et le supprimer concentrera l’effort sur les plus aisés.

 

[1] S. Bouverin applique le taux employeur du privé aux seuls traitements, mais il pourrait être plus logique d’inclure également les primes ou d’appliquer un « taux normal » plus élevé sur le seul traitement. Cela réduirait alors ce « déficit caché » de 5 à 10 Md€, sans réellement invalider le diagnostic d’un sous-financement.

[2] Pour les fonctionnaires FPE transférés dans la FPT, la Poste ou France Télécom, leurs cotisations sont reversées au SRE qui assurera leurs pensions, comme s’ils continuaient d’y cotiser. Le long décalage entre cotisations et pensions pour les nouveaux agents qui les remplacent profite à ces régimes aux dépens du SRE.

[3] On observe actuellement ce problème à la SNCF et la RATP, dont le régime spécial a été mis en extinction pour les nouveaux entrants : ces deux entreprises peinent à recruter de nouveaux conducteurs aux salaires d’entrée.

[4] Il faut aussi rappeler que dans une logique actuarielle, l’âge est un critère plus important que la durée de cotisation : avec une espérance de vie d’une vingtaine d’années et une durée d’assurance d’une quarantaine d’années, les économies générées par un an d’espérance de vie en moins correspondent environ à 2 ans de cotisations en plus.