Le marché de l’immobilier en France a affiché ces dernières années un dynamisme à peine ralenti par la crise de la CoViD-19. Cette note de blog remet en perspective ce dernier, en rappelant tant les inégalités spatiales et sociales que les géographies immobilières diverses qu’il recouvre.
Par Catherine Baumont, Laboratoire d’Economie de Dijon, Professeure à l’Université de Bourgogne.
En 2014, selon les données de la DGFiP, 662 000 transactions immobilières ont été réalisées dans l’hexagone, pour une valeur totale de près de 135,5 milliards d’euros (DGFiP). Quelques années plus tard, en 2017, c’est près de 881 000 transactions qui s’opèrent pour un total de près de 181 milliards d’euros. Le nombre des ventes ne cesse de croître les 2 années suivantes pour frôler puis dépasser en 2019 la barre « symbolique » du million de transactions en France (soit 1 logement sur 37) selon les statistiques établies par le Marché Immobilier des Notaires. Cette vitalité ne semble pas avoir été freinée par la crise liée à la pandémie si on en croit les différentes actualités récentes ; le nombre de transactions qui sera finalement réalisé vers la fin 2020 n’étant en recul que de 4% par rapport à 2019. Tout cela dans un marché plutôt sage en termes de prix avec des hausses modérées autour de 3,5% en moyenne, plus fortes pour les appartements que pour les maisons.
C’est ainsi, chaque année plusieurs « Plans de Relance » qui s’injectent dans notre économie, comme autant de bonnes nouvelles pour la rémunération des professionnels du secteur (Notaires, Banques, Agents immobiliers), pour l’Etat et les collectivités locales, à travers les ressources fiscales que vont entrainer ces mutations (droits de mutations, IRPP et IFI), et enfin pour tous les secteurs économiques liés au logement. Quand l’immobilier va, tout va, serait-on alors tenté de penser. Pour autant, les dynamiques immobilières restent toujours entachées de quelques inquiétudes lorsqu’on s’interroge sur quelques-uns de ses moteurs.
Notre niveau de vie s’affiche avec notre lieu de résidence.
Ainsi parmi nos millions de « nouveaux » propriétaires, leurs choix ont été définis par rapport à leurs besoins, leurs préférences, et en toute bonne logique micro-économique, ils ont cherché à payer le prix qui équilibrait les avantages et les inconvénients associés à l’ensemble des services liés à leur résidence. La crise sanitaire a ainsi été un révélateur de la précarité d’un de ces équilibres lorsque la privation d’accès aux avantages de la vie urbaine et le relâchement de la nécessité de se loger à proximité de son lieu d’emploi ont finalement rendu les villes moyennes ou les lieux de villégiatures plus attrayants. Une nouvelle géographie des marchés immobiliers de la résidence principale pourrait ainsi se dessiner, dont les tendances restent à étudier. Nous pensons néanmoins que l’Insee pourra encore dans quelques années établir que les disparités de niveau de vie, de près du simple au double, perdureront à l’échelle des départements : Paris, les départements littoraux du Sud-Est ou frontaliers avec la Suisse affichant des revenus médians les plus élevés. Le pendant de cette géographie départementale avec celle de la ségrégation socio-spatiale au sein des villes existe avec des disparités de niveau de vie à l’échelle des quartiers également très fortes et qui perdurent. Ce n’est plus seulement notre niveau de vie qui s’affiche avec notre lieu de résidence, mais c’est également notre profil social. Les mobilités résidentielles de nos millions de « nouveaux » propriétaires méritent alors d’être étudiées finement car un grand nombre d’études ont montré que l’emprise territoriale des catégories socio-professionnelles se diffusait spatialement. La gentrification exprime ainsi le fait qu’au fur et à mesure que les catégories sociales plus aisées s’installent dans les quartiers moins aisés, la mixité ainsi créée ne dure pas et le visage du quartier change à terme.
Le cycle de vie des ménages dessine les ondes de l’étalement urbain
Parmi nos millions de « nouveaux propriétaires », certains ont échangés les « services rendus » par leur ancien logement avec de nouveaux « services » plus adaptés à leurs besoins. La famille s’agrandit ou les enfants quittent le nid, la situation professionnelle évolue et le quartier aussi, le logement n’est plus aussi « confortable » et il aurait besoin d’un coup de jeune … Les mobilités résidentielles tentent de concilier ces nouveaux besoins, notamment au sein des aires urbaines et la géographie de la taille et de l’âge des logements s’est matérialisée dans l’étalement urbain de manière différente de celle de la taille et de l’âge des ménages : les densités de bâtis et les densités de populations ne sont pas en phase du fait de la rigidité des premières. En perdant des habitants au profit de leur couronne périurbaine, nos aires urbaines sont devenues, dans les décennies 80 et 90, des doughnuts : creuses à l’intérieur et rebondies à l’extérieur. Les années 2000 puis 2010 ont vu en revanche la tendance s’inverser avec un rebond des zones centrales et un délaissement des périphéries les plus éloignées. Une quarantaine d’années verront ainsi se créer, alternativement en ville puis en périphérie, des marchés immobiliers à « reconstruire » pour satisfaire les besoins de mobilité résidentielle des ménages.
La terre et la pierre au défi de notre « patrimoine environnemental »
Parmi nos millions de « nouveaux » propriétaires certains ont souhaité se constituer un patrimoine, investir dans la pierre en même temps que se loger ou pour tirer un rendement locatif et sans doute espérer transmettre un patrimoine à leurs descendants car le patrimoine immobilier des français est surtout immobilier (en 2018, il représente 61% de leur patrimoine). Les travaux très récents de Mariona Segu montrent ainsi que le développement touristique boosté par le développement du transport aérien d’un côté et les plateformes de locations peer-to-peer, ont été deux facteurs de croissance « supplémentaires » des prix de l’immobilier dans les destinations touristiques. Un effet patrimonial supplémentaire est sans doute également à venir si les biens à vocation touristique sont rénovés, modernisés et entretenus. A l’inverse, la dégradation des biens immobiliers et la vacance des logements sont des facteurs qui diminuent la valeur des biens et celui de nos voisins. Même si cela est observé mais non encore démontré à l’échelle des aires urbaines françaises, Newman et al. ont établi, sur plusieurs villes américaines, que la vacance immobilière dans les villes centres augmentait avec l’étalement urbain. Faciliter l’urbanisation par la densification des périphéries proches ou l’artificialisation des terres plus lointaines est donc un facteur facilitant l’inoccupation des logements dans les villes centres et par la suite la dégradation des logements et la dévalorisation de leur valeur immobilière. « Cut the Sprawl, Cut the Warming » est aujourd’hui une réalité en France avec l’adoption du projet de loi Climat et Résilience. Entre la pierre et la terre, il n’y a plus de substitution ni compromis environnemental : c’est la réhabilitation des logements existants afin qu’ils soient moins énergivores et la construction dans les villes et non plus sur des terres nouvelles.
Ainsi le marché immobilier peut encore compter sur de nouveaux élans … mais qu’en sera-t-il des marchés immobiliers ? Les villes et les campagnes, les villes centres et leurs périphéries, les quartiers résidentiels et les quartiers délaissés sont autant de géographies immobilières différentes et changeantes. Connaissons-nous le dessous de ces cartes ?
Ce billet également été publié le 1er juin 2021 sur le site www.touteconomie.org/