Pour une charte de bonnes pratiques en matière de recrutement des enseignants-chercheurs en sciences économiques

La loi de programmation de la recherche, récemment adoptée, supprime la qualification pour concourir au statut de Professeur des Universités par le Conseil National des Universités pour les maîtres de conférences. Le recrutement des Professeurs est donc désormais essentiellement mené au niveau local par chaque université. Cette tribune propose une charte des bonnes pratiques à mettre en place dans ce nouveau contexte.

La loi de programmation de la recherche, récemment adoptée, modifie profondément les modalités de recrutement des enseignants-chercheurs, en supprimant notamment une spécificité du système français : la qualification pour concourir au statut de Professeur des Universités par le Conseil National des Universités pour les maîtres de conférences. Le recrutement des Professeurs est donc désormais essentiellement mené au niveau local par chaque université.

Cette évolution, conforme au principe d’autonomie des universités, fait peser sur celles-ci une responsabilité accrue. Si elle doit offrir aux universités une plus grande agilité et renforcer leur capacité d’initiative, elle ne doit pas être la porte ouverte à un développement de pratiques clientélistes, au détriment de la qualité des recrutements et de la science française, de la cohérence du métier d’enseignant chercheur et de leur avenir.

Nous prenons aujourd’hui l’initiative de cette tribune car nous pensons que le risque de pratiques clientélistes est réel. C’est pourquoi nous pensons qu’il est nécessaire que soient établis au niveau national un certain nombre de principes pour limiter les pratiques clientélistes et localistes. Nous pensons que ces principes devraient faire l’objet d’une charte qui pourrait s’articuler autour des trois fondements suivants.

 

  1. Une activité de recherche continue et de qualité doit rester une exigence centrale dans le recrutement des professeurs.

Bien entendu, cette exigence doit être adaptée aux profils des candidats. Il ne saurait être question d’appliquer exactement les mêmes critères à de jeunes collègues principalement investis dans la recherche ou à des collègues plus avancés dans leur carrière et qui auraient un profil plus équilibré entre exigences scientifiques et responsabilités collectives.

Une classification des revues à l’instar de celle établie jusqu’ici par la section 37 du CNRS peut s’avérer utile pour poser des jalons. Sans se substituer à l’indispensable examen des travaux des candidats :

  • La publication dans une revue d’une réputation analogue aux revues « rang 1 selon le classement CNRS » nous apparaît comme un repère raisonnable d’excellence scientifique pour les candidats les plus jeunes ;
  • La publication de plusieurs articles dans des revues de réputation analogue aux revues « rang 2 selon le classement CNRS » signale une activité de recherche de bon niveau qui pourrait être considérée comme suffisante pour des candidats plus avancés dans leur carrière et qui auraient également endossé des responsabilités collectives significatives. 
  • Si la décision de la section 37 du CNRS de renoncer à toute forme de classement de revues en économie et gestion pose la question du classement à utiliser à terme, le classement peut toutefois servir de référence pour la campagne à venir.  

 

2) La mobilité professionnelle est indispensable

La mobilité est critique dans le parcours intellectuel de chacun tant la connaissance d’autres environnements de recherche favorise le développement d’une pensée originale et articulée. Être connecté à des communautés différentes permet tout autant de s’enrichir de perceptions différentes du métier que d’expériences collectives et institutionnelles originales. C’est vrai pour l’enseignant-chercheur recruté tout autant que pour l’équipe qui le recrute.

Le recrutement externe doit aussi se penser comme une bonne solution organisationnelle car il permet de limiter les biais de sélection. Il permet en outre de constituer sur le long terme des communautés disciplinaires au sein de nos universités plus diverses et moins structurées autour de conventions ou de clivages désuets et non pertinents dans l’exercice quotidien du métier.

Enfin, la disparition de l’étape nationale que constituait la qualification par le CNU des maîtres de conférences préalablement à leurs candidatures à des postes de professeur rend encore plus indispensable l’exigence de mobilité face au risque de dérives mandarinales.

  • Pour le recrutement des Professeurs, les comités de sélection doivent considérer comme un élément fondamental l’existence d’une expérience de plus de trois ans au sein d’établissements différents de celui où est ouvert l'emploi à pourvoir (et un laboratoire d’accueil différent).
  • Pour les postes de Maîtres de Conférences, nous pensons qu’il faut inscrire dans les textes le principe selon lequel les candidats ne doivent pas avoir soutenu leur thèse dans l'établissement qui les recrute, sauf s'ils ont effectué au minimum deux ans de mobilité post-doctorale.

 

3) La qualité scientifique des recrutements doit être garantie par des rapporteurs extérieurs à l’établissement et dont la réputation scientifique est internationalement reconnue

Pour cela, nous proposons de généraliser à tous les candidats à un poste de Professeur, la procédure appliquée aux enseignants-chercheurs en poste à l'étranger pour la dispense de qualification (article 43 du décret de 1984), mais en l’adaptant. Chaque dossier doit faire l’objet d’une évaluation par trois rapporteurs dont au moins deux membres externes à l’établissement. La réputation scientifique de ces rapporteurs doit être attestée par des publications dans des revues internationales de qualité.

Nos propositions ont pour vocation d’être débattues, au sein de la profession et avec le Ministère. Nous espérons avoir fait ici des propositions pertinentes pour l’élaboration d’une « charte de bonnes pratiques » visant à garantir la qualité du recrutement au sein de notre discipline.

 

Avenel Eric, Université de Rennes 1
Bloch Francis, PSE
Carayol Nicolas, Université de Bordeaux
Chort Isabelle, Université de Pau et des pays de l'Adour
Dumontet Magali, EconomiX, UMR 7235, Université Paris Nanterre.
Fève Patrick, Université de Toulouse I-Capitole et TSE
Gagnepain Philippe, Paris School of Economics - Université Paris 1
Jaaidane Touria, Université de Lille
Koening Pamina, Université de Rouen et PSE
Lefebvre Mathieu, Université de Strasbourg
Lehmann Etienne, Université Paris II Panthéon-Assas
Moreno-Galbis Eva, AMSE
Patureau Lise, Université Paris Dauphine
Raffin Natacha, CREAM, Université Rouen Normandie