Les citoyens du monde entier soutiennent une forte hausse du financement du développement

En juin, Séville accueillera la conférence des Nations unies sur le financement du développement. Cette conférence offre une occasion historique d’obtenir des ressources tant attendues pour le développement durable dans les pays du Sud. Or, de récentes études académiques révèlent que la majorité des citoyens sont favorables à des mesures mondiales de redistribution ou de lutte contre le changement climatique, même dans les pays à hauts revenus qui seraient mis à contribution. Ces résultats inédits pourraient contribuer à débloquer les négociations internationales sur les questions climatiques et fiscales.

En 2015, tous les pays ont unanimement adopté les Objectifs de développement durable (ODD). Dix ans plus tard, le monde est sur le point d’échouer, même sur les deux premiers objectifs : éradiquer l’extrême pauvreté et la faim d’ici 2030. Il est désormais clair que l’extrême pauvreté ne pourra être éradiquée au cours de la décennie si les pays à hauts revenus ne respectent pas leur engagement d’accroître les transferts internationaux. Ces dernières années, diverses solutions innovantes pour financer le développement durable ont été proposées. L’Union africaine appelle à un régime mondial de taxation du carbone. L’Inde appelle à un financement accru de l’action climatique par les pays développés. Au G20, le Brésil a proposé une taxation coordonnée des milliardaires pour financer des programmes de lutte contre la pauvreté. Le groupe de travail sur les prélèvements de solidarité mondiale, mis en place par les gouvernements de la France, du Kenya et de la Barbade, propose de nouvelles taxes internationales sur la fortune, les transactions financières et l’aviation.

Une majorité pour des mesures mondiales de redistribution et de lutte contre le changement climatique Les gouvernements des pays à hauts revenus sont généralement réticents à adopter des mesures de financement du développement. Pourtant, cette réticence reflète-t-elle les préférences de leurs propres populations ? De récentes études académiques montrent le contraire. Une enquête représentative menée auprès de 125 pays et publiée dans Nature Climate Change révèle que 69 % de la population mondiale se déclare prête à consacrer 1 % de son revenu à la lutte contre le changement climatique.

La redistribution mondiale est également soutenue, comme le montrent mes propres recherches, publiées dans Nature Human Behaviour. Mes coauteurs et moi-même avons d’abord mené des enquêtes représentatives auprès de plus de 40 000 personnes dans 20 pays. Nous constatons un soutien massif à une taxe mondiale sur les millionnaires qui financerait les pays à bas revenus (Fig. 1). Impressionnés par les résultats, nous avons décidé de mener des enquêtes supplémentaires auprès de 8 000 personnes aux États-Unis et dans quatre pays européens (France, Allemagne, Espagne et Royaume-Uni), afin de vérifier la véracité et la sincérité du soutien à la redistribution mondiale.

 

 Figure 1. Soutien à des mesures de redistribution mondiale (en % des réponses non Indifférente).

Source : Fabre et al., Majority Support for Global Climate and Redistributive Policies, Nat. Human Behav., 2025.

 

Les nouvelles enquêtes confirment un large soutien à une taxe mondiale sur les millionnaires finançant les pays à bas revenus (69 % aux États-Unis, 84 % en Europe), à un niveau similaire au soutien à une taxe nationale sur les millionnaires finançant les services publics nationaux (Fig. 2). Nous avons ensuite demandé aux répondants comment ils préféreraient allouer les recettes d’une taxe mondiale sur la fortune : le répondant médian attribue 30 % aux pays à bas revenus contre 70 % pour la santé et l’éducation dans son pays. D’autres questions de l’enquête confirment que la plupart des gens se soucient de la pauvreté dans le monde. Par exemple, plus de 60 % des répondants souhaitent augmenter l’aide au développement de leur pays.

 

Figure 2. Soutien à des mesures de redistribution mondiale (en % des réponses non Indifférente).

Source : Fabre et al., Majority Support for Global Climate and Redistributive Policies, Nat. Human Behav., 2025.

 

Un plan mondial pour le climat soutenu malgré son coût : jusqu’à 76 % d’approbation en Europe 

Nous avons également décrit un « Plan mondial pour le climat », consistant en un prix mondial du carbone finançant un même transfert de 30 euros par mois pour chaque personne sur Terre, réduisant ainsi l’extrême pauvreté. Nous avons expliqué aux répondants que les hausses de dépenses (dues à la hausse des prix des combustibles fossiles) ne seraient que partiellement compensées par ce transfert monétaire, et les avons informés du coût pour la personne moyenne de leur pays (par exemple, une perte de 10 euros par mois en France ou 85 dollars par mois aux États-Unis). Même en comprenant bien les coûts qu’elle implique, 54 % des Américains et 76 % des Européens soutiennent cette mesure.

Enfin, diverses méthodes expérimentales indiquent que le soutien à la redistribution mondiale est sincère. Par exemple, nous observons qu’un candidat progressiste ne perdrait pas – et pourrait même gagner – des intentions de vote en faisant campagne sur la redistribution mondiale. Ce résultat repose sur une expérience dans laquelle nous avons présenté aux répondants deux programmes politiques, correspondant aux programmes conservateur et progressiste de leur pays. Pour une moitié aléatoire de l’échantillon, nous avons ajouté le Plan mondial pour le climat au programme progressiste. La part de répondants préférant le programme progressiste n’est jamais réduite lorsque celui-ci inclue le Plan mondial pour le climat, et est même plus élevée dans certains pays, de 11 points en France.

 

Une union internationale collectant des nouvelles taxes sur les plus riches et sur la pollution, redistribuées selon une norme proportionnelle

À la lumière de ces résultats, la conférence sur le Financement du Développement offre une opportunité historique d’obtenir un accord sur les mesures de redistribution mondiale soutenues par l’opinion publique. Par exemple, un groupe de pays volontaires pourrait former une union qui mettrait en œuvre trois objectifs : (i) des recettes supplémentaires provenant de nouvelles taxes sur les plus riches et sur la pollution, pour 2 % de leur PIB ; (ii) une contribution commune au développement durable, à 1 % du PIB ; et (iii) un budget carbone mondial, de 1 000 GtCO2. Les pays de l’union s’engageraient à appliquer un taux minimum d’imposition sur la fortune et à instaurer un marché carbone international (similaire aux marchés carbone européens). Il est estimé que 3,5 % du PIB mondial pourraient être collectés par ces nouvelles taxes, principalement grâce à l’impôt sur la fortune, qui ne toucherait que les 0,1 % les plus riches (Tableau 1).

Tableau 1. Recettes potentielles de nouvelles taxes mondiales (en milliards de dollars par an).

 

Figure 3. Gains pour les budgets nationaux grâce aux nouvelles taxes et aux transferts nets. 
Source : Fabre et al., A shared vision towards global climate justice,2025.

 

Enfin, l’union établirait une norme pour les contributions et les transferts, résolvant ainsi un débat de longue date dans les négociations internationales : les contributions seraient proportionnelles au PIB, tandis que les transferts et les droits d’émission seraient proportionnels à la population. Ainsi, les pays dont le revenu par habitant est inférieur à la moyenne mondiale seraient financièrement gagnants. Les pays dont le revenu par habitant est supérieur à la moyenne mondiale seraient des contributeurs nets, mais les nouveaux impôts seraient payés par les individus les plus riches, générant au passage des ressources supplémentaires pour leurs gouvernements (Fig. 3). Par conséquent, l’union serait une solution gagnant-gagnant, puisque la population de chaque pays bénéficierait d’un climat plus stable, d’une augmentation des recettes publiques et d’un développement durable.