L’effet du passage à la retraite sur le bien-être des Français

Les travaux de recherche sur des mesures de bien-être social et du bonheur de populations se sont multipliés au cours de ces dernières années. Dans la plupart des pays développés, ces préoccupations s’inscrivent depuis trois décennies dans un contexte de vieillissement de la population et de réformes des systèmes de retraite visant à allonger la durée d’activité. Une étude publiée dans le numéro 42 de Questions Politiques Sociales – Les études de la Caisse des dépôts vise à apporter un éclairage sur le bien-être des Français et plus particulièrement de leur bien-être ressenti lors du passage à la retraite. Pour cela, elle mobilise les données des vagues 2014 et 2020 de l’enquête Pat€r (PATrimoine et préférences vis-à-vis du TEmps et du Risque). Ce billet reprend les principaux résultats de l’article publié.

Forte attente de la retraite et représentations plutôt positives de la retraite

Dans le cadre standard de la théorie du cycle de vie [1], l’individu est supposé lisser son niveau de satisfaction sur l’ensemble de sa vie. Par conséquent, on peut s’attendre à ce que le passage à la retraite ait peu d’effet sur le niveau de bien-être ressenti. 

Pour autant, les débats autour de la réforme des retraites mise en œuvre en 2023 ont mis en évidence de fortes réticences parmi les Français envers la perspective d’un report de l’âge de la retraite. Ces réticences traduisent probablement une aspiration assez large des Français à vouloir profiter de leur retraite. Il est probable que cette aspiration soit d’autant plus forte que la satisfaction procurée par l’activité est réduite (personnes souffrant des conditions d’exercice de leur activité, perte de sens, faibles possibilités d’évolution de carrière, peu d’autonomie dans le travail…), ces souffrances pouvant s’accentuer avec l’âge. A contrario, pour d’autres personnes, qui occupent des emplois davantage gratifiants, l’attrait de la retraite est potentiellement moindre. 

En fait, sur 10 Français partis récemment à la retraite, 8 déclarent que « le souhait de profiter de sa retraite le plus longtemps possible » a joué dans la décision de départ, et 6 que « ce motif a beaucoup joué » [2]. Par ailleurs, dans une étude précédente [3], nous montrions que les Français ont un fort attachement au système de retraite actuel. De plus, si on les interroge sur la manière dont ils voient la retraite, en leur demandant de sélectionner trois qualificatifs dans une liste, ils se la représentent davantage comme quelque chose de positif que de négatif (graphique 1). Par conséquent, même si le passage à la retraite ne rime pas nécessairement avec amélioration du bien-être, on peut imaginer qu’en moyenne il contribue à l’améliorer. 

Le bien-être ressenti varie assez peu selon l’âge, mais fortement avec la santé perçue

Il apparaît ainsi qu’en 2020, le niveau de satisfaction dans la vie (en moyenne de 6,6 sur 10 pour les personnes âgées de 25 à 79 ans, niveau assez proche de celui trouvé dans d’autres travaux [4]) varie assez peu selon l’âge : si le bien-être atteint un niveau plancher entre 45-59 ans, les écarts entre les tranches d’âge n’excèdent pas 0,6 point (graphique 2) et ne sont le plus souvent pas significatifs. C’est surtout l’état de santé ressenti qui ressort comme le déterminant majeur du niveau de bien-être (graphique 3). 

 

Si on regarde plus précisément le bien-être moyen des retraités et des non retraités aux mêmes tranches d’âges, les écarts sont globalement faibles à l’exception des 65-69 ans. En effet, les 65-69 ans encore non retraités sont plus nombreux à avoir eu une carrière irrégulière (35 % d’entre eux ont connu des carrières heurtées contre 17,5 % pour les retraités du même âge) ; à percevoir un revenu inférieur au revenu médian (75 % contre 57 %) ; ou à se déclarer en mauvaise santé (20 % contre 7 %). Par ailleurs, les personnes qui ne sont ni en emploi ni à la retraite ont un niveau de satisfaction plus réduit que les personnes en emploi.

Deux estimations économétriques en coupe transversale réalisées pour évaluer les différences de bien-être entre retraités et non-retraités confirment ces résultats descriptifs. La première, en moindres carrés ordinaires sur l’ensemble de l’effectif des 45-74 ans, montre que les retraités déclarent toutes choses égales par ailleurs un niveau de bien-être légèrement plus élevé que les personnes non retraitées. La seconde estimation vise à comparer les niveaux de bien-être subjectif d’individus comparables entre ceux à la retraite et ceux non retraités autour de l’âge de la retraite (entre 55 et 64 ans). Sur la base d’un appariement d’individus retraités à des individus non retraités pour des mêmes caractéristiques de niveau de santé ressentie, de situation conjugale (en couple ou seul), de nombre d’enfants et de même niveau d’étude, sur ce champ plus restreint, il n’apparaît alors aucune différence significative de niveau de bien-être entre les retraités et les non retraités.

Un faible impact négatif du passage à la retraite sur le bien-être

L’analyse de l’évolution du bien-être des répondants communs aux vagues 2014 et 2020 permet de préciser l’évolution du bien-être au moment du passage à la retraite. Pour cela, nous recourons à la méthode en doubles différences. En toute rigueur, cette méthode suppose que la détermination du groupe sur lequel on cherche à évaluer l’impact sur le niveau de bien-être d’un traitement (en l’occurrence le passage à la retraite) et du groupe de contrôle est exogène. Ici, le groupe de traitement est constitué des répondants communs aux deux vagues âgés d’au moins 35 ans en 2014 et d’au plus 74 ans en 2020 et partis en retraite entre 2014 et 2020. Or, le départ à la retraite étant le résultat d’un choix individuel qui lui-même n’est pas indépendant du niveau de bien-être, constituer les groupes de traitement et de contrôle en fonction de la situation vis-à-vis de la retraite est discutable.

Les résultats de nos estimations en doubles différences peuvent donc en être affectés, notamment dans le cas du premier groupe de contrôle (G1) retenu : les personnes âgées d’au moins 35 ans en 2014 et de moins de 75 ans en 2020, et qui ne sont retraitées ni en 2014 ni en 2020. En effet, il est possible que les personnes du groupe de contrôle G1 encore en activité au-delà de 62 ans soient assez spécifiques en termes de bien-être (selon que le départ tardif est vraiment choisi ou au contraire subi, ou du fait de l’impossibilité de partir dès 62 ans sans une décote importante sur le montant de la pension).

Pour cette raison, deux groupes de contrôle alternatifs ont été retenus. Le premier (G2) est constitué des répondants communs aux deux vagues appartenant aux mêmes tranches d’âge que le groupe de traitement mais retraitées en 2014 comme en 2020 : l’avantage de ce groupe de contrôle est que l’évolution entre 2014 et 2020 du bien-être des répondants qui le constituent n’est a priori guère affectée par les choix qu’ils ont faits vis-à-vis de la retraite avant 2014. Le second (G3) est constitué comme le groupe G1 de personnes qui ne sont retraitées ni en 2014 ni en 2020, mais âgées de moins de 55 ans. Cette restriction d’âge fait que le groupe G3 est moins exposé que le groupe G1 à la critique méthodologique d’une endogénéité de la détermination du groupe de contrôle, mais au prix d’une forte réduction de la taille du groupe de contrôle qui peut rendre plus difficile l’obtention de résultats statistiquement significatifs.

Les résultats obtenus mettent en évidence, quel que soit le groupe de contrôle retenu, un impact faiblement négatif sur le bien-être du passage à la retraite, compris entre -0,4 et -0,5 point sur 10 (graphique 4). Il est donc possible que dans certains cas la confrontation avec la réalité du départ à la retraite, qui oblige à trouver de nouveaux équilibres de vie, génère au moins transitoirement certaines déceptions, déceptions qui s’atténueraient à mesure que les retraités s’adaptent à leur nouvelle situation. L’étude met par ailleurs en évidence que le niveau de bien-être est affecté très négativement par certains événements de la vie (graphique 5), comme la dégradation de son état de santé ou le fait de vivre seul (suite à une séparation ou à un veuvage).

 

Questions Politiques Sociales – Les études est une publication de la direction des politiques sociales de la Caisse des Dépôts.

Références :

[1] Modigliani F. et R. Brumberg (1954), « Utility Analysis and the Consumption Function: An Interpretation of Cross Section Data », in K. Kurihara eds., Post Keynesian Economics, New Brunswick, New Jersey, Rutgers University Press.

[2] Drees (2023), Les retraités et les retraites, édition 2023, https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-communique-de-presse-documents-de-reference/panoramas-de-la-drees/les-retraites-et-0

[3] Arrondel, L., L. Gautier, A. Lemonnier et L. Soulat (2021), « Les attentes et la perception de la retraite en France : exploitation de la vague 2020 de l’enquête Pat€r », Questions politiques sociales – Les études, n°33, avril, https://politiques-sociales.caissedesdepots.fr/qps-les-etudes-ndeg33

[4] Péron, M., M. Perona et C. Senik (2019), Le passage à la retraite, Observatoire du Bien-être du CEPREMAP, Note OBE, n°2019-07, septembre 2019, https://www.cepremap.fr/depot/2019/09/2019-07-Le-passage-%C3%A0-la-retraite-1.pdf