Le secteur du transport est le premier touché par la crise du coronavirus

En raison de l’épidémie du coronavirus, l’activité des entreprises chinoises est très fortement perturbée. Et les objectifs de croissance du pays sont déjà revus à la baisse. Mais au-delà de la Chine, premier importateur et exportateur au monde, c’est l’ensemble de l’économie mondiale qui est susceptible d’être affectée, dont la France. Sébastien Jean répond aux questions des internautes sur les conséquences économiques de l’épidémie.

Cette interview a été publiée sur le blog du CEPII le 12 février 2020 ainsi que dans l'édition du Monde du 11 février 2020.           

Beaucoup d’entreprises internationales ont des « solutions de repli » en Thaïlande, aux Philippines, en Indonésie… pour continuer à produire. L’épidémie de coronavirus va-t-elle permettre à ces pays de recevoir plus d’investissements ?

Certaines entreprises cherchent des fournisseurs de substitution, et les pays voisins sont souvent les meilleurs candidats, donc ils peuvent en bénéficier dans certains cas. Mais c’est loin d’être l’effet le plus important, parce que la Chine est pour eux un partenaire dominant, à la fois comme débouché et comme fournisseur. Elle est, par exemple, la destination de 25 % des exportations de la Corée du Sud, et l’origine de 21 % de leurs importations. Pour ses voisins, la paralysie chinoise est donc d’abord une menace. Même si, à plus long terme, ils peuvent espérer que le besoin de diversification joue en leur faveur.

Le marché de l’énergie est touché par ce ralentissement. Quelles seront les répercussions pour l’Europe ?

Les marchés d’énergie et de matières premières sont en effet directement touchés par la baisse de la demande chinoise. Pour l’instant, l’ordre de grandeur le plus fréquent a été une chute de l’ordre de 10 % environ, parfois plus. Pour l’Europe, cette dimension spécifique est plutôt une bonne nouvelle puisqu’elle se traduit par une baisse du coût d’approvisionnement. Pour le pétrole, l’impact est assez direct étant donné l’organisation des marchés.

Comment la chaîne de production mondiale pourra-t-elle faire face à cette crise sanitaire si elle perdure ?

La perturbation sur les chaînes de production est à la mesure du poids de la Chine, première puissance industrielle et commerciale, notamment très présente dans la production de produits intermédiaires. Si la paralysie de la production dans les régions affectées perdure, les industriels chercheront des substituts en Chine et en dehors.

Les précédentes crises, comme le tremblement de terre au Japon en 2011 ou les inondations en Thaïlande la même année, ont montré que la production en aval pouvait être paralysée, mais de façon très hétérogène. C’est surtout un problème lorsque la production est difficile à remplacer ou qu’elle est vraiment faite « sur mesure » et requiert une haute technicité. Donc les secteurs les plus sensibles sont, notamment, d’abord l’électronique et l’informatique (à la fois très techniques et où la part de marché de la Chine est très élevée), mais aussi le textile et l’habillement, l’automobile (où les chaînes d’approvisionnement sont très complexes).

Les Bourses n’ont absolument pas l’air de s’inquiéter, volant de record en record. Comment l’expliquer ?

L’épidémie a eu un impact négatif sur les Bourses, d’abord en Chine, avec des chutes de cours de près de 10 %, puis dans le monde entier. Il est vrai que les cours ont rebondi récemment et souvent effacé les pertes précédentes. Cela reflète avant tout les chiffres de propagation de l’épidémie, la baisse du nombre de cas de nouvelles contaminations dans les statistiques officielles chinoises laisse penser à certains que le pic épidémique est proche. Les marchés ont sans doute réalisé que la baisse précédente était excessive, et qu’il valait mieux racheter.

Les entreprises européennes ou américaines ne vont-elles pas privilégier les approvisionnements courts dans des pays proches d’elles ?

L’approvisionnement dans des régions éloignées exposées comporte des risques, ce n’est pas une découverte, mais c’est au moins un rappel, voire une mise à l’épreuve. Cela peut compter dans la façon dont certaines entreprises feront évoluer leur stratégie. D’autant que l’épidémie se combine avec un facteur plus structurel : l’augmentation du risque géopolitique.

Ne pourrait-on pas voir cette pause dans l’économie comme une opportunité pour revoir nos pratiques industrielles et économiques et se mettre en route vers l’objectif de neutralité carbone ?

Cette crise peut être l’occasion d’une remise en question, et d’une meilleure prise en compte des questions de stabilité, de résistance aux chocs. Sur la neutralité carbone, cela ne donne pas forcément une impulsion dans le bon sens. Au mieux, on peut espérer que cela permette de faciliter une évolution, mais seulement à condition que les politiques de lutte contre le changement climatique donnent une direction et des incitations suffisamment claires.

Peut-on dire que cette crise sanitaire a un impact positif pour l’environnement (moins de production, moins d’extractions, de pollution et de gaspillage) ?

La baisse de l’activité économique se traduit toujours par une baisse des émissions, on l’avait déjà constaté en 2009, par exemple. Mais c’est temporaire quand il s’agit d’un choc comme celui-ci, et cela ne diminue pas particulièrement l’intensité carbone de la croissance.

Peut-on mesurer l’impact du ralentissement économique sur l’industrie du transport (aéronautique, transport maritime) ?

Il est trop tôt pour avoir des statistiques, mais tout indique que le secteur du transport est le premier touché. Le prix du fret maritime à destination ou en provenance de Chine s’est effondré, plusieurs ports chinois étant partiellement fermés. Des expéditions ont été annulées. Dans l’aérien, le trafic est très perturbé également. L’impact à terme dépendra beaucoup de la solidité financière des acteurs principaux sur ces marchés. Cathay Pacific, par exemple, la compagnie aérienne basée à Hongkong, connaît des difficultés et a demandé à ses employés de prendre trois semaines de congés sans solde. Le transport maritime, plus concentré, est sans doute plus robuste de ce point de vue.

L’effet sur l’économie mondiale sera-t-il structurel ou conjoncturel ?

Cela dépendra principalement de la durée de la crise. En Chine, la paralysie de l’activité se traduit pour beaucoup d’entreprises par un assèchement des liquidités. Si cela dure, quelle est la proportion d’entre elles qui se trouveront acculées à la faillite ? Les autorités ont donné des instructions aux banques pour faciliter le financement et, au besoin, son renouvellement, mais cela ne résout pas tout, d’autant que les banques elles-mêmes sont parfois fragiles. Si les faillites sont nombreuses, les perturbations seront plus durables et plus structurantes pour la suite. Quant aux stratégies de localisation de l’activité des multinationales, ce choc peut se combiner à la guerre commerciale pour faire évoluer les stratégies, vers plus de diversification et, souvent, une priorité donnée à l’approvisionnement régional.

Quel sera l’impact de l’épidémie sur l’économie française ?

Le secteur le plus touché est le tourisme, les arrivées en provenance de Chine se sont brutalement taries. On estime les dépenses des touristes chinois en France à environ 4 milliards d’euros par an.

Pour ce qui est des débouchés, les secteurs impactés seront a priori le luxe, l’agroalimentaire, les machines. La France est moins exposée que l’Allemagne par exemple, parce qu’elle exporte moins en Chine, mais nos exportations représentent quand même environ 1,2 ou 1,3 % de notre PIB. Une autre difficulté viendra de possibles ruptures d’approvisionnement, notamment dans l’électronique-informatique, l’automobile, le textile et l’habillement voire la pharmacie. Ce sera surtout un problème si la paralysie de la production dure au-delà de quelques semaines.

Des secteurs économiques peuvent-ils sortir gagnants de cette épidémie ?

Assez peu a priori, mais on pense évidemment en priorité au secteur de l’équipement médical et de la pharmacie, étant donné, notamment, les pénuries observées en Chine, par exemple, sur les masques médicaux. Un autre effet positif éventuel est lié à la baisse des prix des matières premières et de l’énergie, mais il y aura peu de secteurs où il compensera l’effet négatif sur l’activité.

Est-ce que l’épidémie va avoir un effet sur la guerre commerciale en cours entre la Chine et les Etats-Unis ?

Pour l’instant, on voit que la tension entre les deux pays a eu un impact : Pékin n’a pas voulu demander directement de l’aide aux Etats-Unis et certaines réactions américaines ont été très mal perçues. Par exemple, les restrictions fortes et précoces sur les entrées de voyageurs en provenance de Chine, les commentaires jugés « déplacés » du secrétaire américain au commerce, Wilbur Ross, et du secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo. L’épidémie affaiblit la position de la Chine dans sa guerre commerciale avec les Etats-Unis, mais Pékin a jusqu’ici déclaré que ses engagements d’achats de produits américains seraient respectés.