Hommage à Daniel Cohen

Pierre-Cyrille Hautcoeur, Président de l’AFSE, rend hommage à Daniel Cohen, Président de la Paris School of Economics, disparu le 20 août 2023.

 

 

J'ai rencontré Daniel lorsqu'il fut nommé professeur à l'Ecole normale supérieure, où j'enseignais en préparant ma thèse. C'était, je crois, en 1992. Seul professeur d'économie dans une institution où la recherche était coupée de l'enseignement, et dont les étudiants passaient leurs diplômes à l'Université, son objectif était de convaincre les normaliens de s'orienter vers l'économie; et son argument que cela permettait d'avoir plus d'impact sur le monde réel qu'en faisant des mathématiques ou de la philosophie (pour ne citer que les disciplines considérées comme les plus prestigieuses). A cet effet, il justaposait des cours très larges enseignant les bases intellectuelles de l'économie depuis le XVIIIe siècle et des discussions plus pointues sur des publications récentes. Et il réussit ! Son dynamisme, son goût pour la discussion argumentée, qu'elle soit très technique, théorique (voire philosophique) ou factuelle, son humour et ses convictions avaient un effet d'attraction puissant. Il a ainsi contribué à amener au fil des années un grand nombre de jeunes normaliens vers la recherche, avec un succès que l'on a pu constater avec les nombreux prix (il avait lui-même reçu celui de l'AFSE pour sa thèse) qu'ils ont obtenus et les postes qu'ils occupent en France ou ailleurs. 

Débattre, convaincre, c'était aussi ce qui conduisait Daniel à participer au débat public par des éditoriaux dans la presse, par les nombreux livres grand public par lesquels il diffusait les recherches les plus récentes dans une langue claire et directe, mais sans en masquer la complexité. Chaque fois il tentait de convaincre des idées les plus intéressantes qu'il avait croisées, en les mettant en perspective et en débat. Il pouvait ainsi dans un livre ou une discussion plaider pour le contraire d'une idée qu'il avait défendue peu auparavant, mais c'était parce que de nouveaux arguments l'avaient impressionné, jamais par opportunisme. C'est aussi par goût de convaincre qu'il a conseillé les gouvernements, y compris pour obtenir plus d'argent pour la recherche économique. Cet incorrigible optimiste pensait que quelque chose en resterait même quand ses propositions n'étaient pas reçues, même quand le pragmatisme annoncé n'était finalement pas le sien, toujours généreux et confiant. 

La curiosité et l'enthousiasme de Daniel pour les idées étaient permanents et communicatifs. A la cantine, il interrogeait chacun sur ses lectures ou sa recherche en cours, et entrait dans des débats passionnés, soulevant des questions et ouvrant des perspectives larges que l'impétrant n'avait pas imaginées. L'année dernière encore, lors d'une soutenance de thèse, il lança une discussion entre les membres du jury si passionnées que je crus un instant la doctorante oubliée (mais tout s'acheva bien).

En rendant l'économie passionnante pour un public large, en le convainquant de son utilité et de sa rigueur, en montrant l'exemple d'une recherche soucieuse des problèmes réels de notre temps sans négliger de l'inscrire dans un contexte social et politique concret, Daniel Cohen a bien servi la science économique. C'est une grande peine pour moi, et une grande perte pour notre discipline de le voir disparaître si vite. Merci Daniel.