Par Jeanne Commault, Professeure Assistante au Département d’Economie de Sciences Po Paris
Cette thèse examine les effets de l’incertitude sur les décisions de consommation des individus au sein de cadres analytiques dans lesquels les individus prennent en compte leur utilité future et cherchent à lisser leur consommation dans le temps, et les conséquences de ces décisions sur la mesure des comportements de consommation. En effet, tant la compréhension de la façon dont les individus choisissent leur niveau de consommation et d’épargne, que la mesure de ces derniers, est au centre de plusieurs questions économiques, telles que l’effet des politiques budgétaires et monétaires, la transmission des inégalités de revenus aux inégalités de consommation, et la dynamique des cycles économiques.
Dans le premier chapitre, j’établis des résultats théoriques concernant l’effet de l’incertitude sur les choix de consommation. Mes travaux s’inscrivent dans la continuité de recherches existantes, qui ont mis en évidence l’existence d’un comportement d’épargne de précaution, lié au fait que le futur est incertain : lorsque la consommation future est variable, et peut dès lors être faible ou élevée, les individus choisissent d’épargner d’avantage pour le cas où elle s’avérerait faible. Je montre alors que l’épargne de précaution est corrélée négativement à la richesse des individus pour deux raisons. D’une part, les individus ayant une richesse plus élevée ont un niveau de consommation future également plus élevé : cela signifie que, même si leur consommation future s’avère plus faible qu’attendue, elle restera plus élevée que s’ils étaient moins riches, limitant la valeur relative d’un euro de consommation future par rapport à un euro de consommation présente et donc le besoin d’épargner. D’autre part, les individus ayant une richesse plus élevée connaissent des fluctuations plus faibles de leur consommation future, puisqu’une part plus grande de leur consommation est financée par leur richesse présente, dont le montant est certain, et non par leur revenu futur, dont le montant est incertain, ce qui limite également le besoin d’épargner.
Dans le deuxième chapitre, j’examine les conséquences de ce résultat pour l’évolution de la consommation dans le temps. En effet, la corrélation négative entre richesse et épargne de précaution implique que les chocs passés qui influencent la richesse présente des individus (sans modifier leur revenu futur) affectent leur désir d’épargne de précaution, et donc la croissance de leur consommation : avoir gagné au loto il y a deux ans, par exemple, augmente la richesse présente d’un individu, l’incitant à transférer un montant plus faible vers les périodes futures, donc à avoir une consommation qui croît moins dans le temps. Ceci va à l’encontre de l’approximation traditionnelle des modèles de cycle de vie, qui suppose que la trajectoire de la consommation est indépendante des chocs passés, se trouvant seulement déterminée seulement par les chocs présents. Je souligne notamment que cette approximation élimine implicitement les effets de précaution, ce qui explique pourquoi la corrélation avec les chocs passés en est absente.
Enfin, le troisième chapitre mobilise ces résultats théoriques pour expliquer les divergences de résultats entre les deux méthodes principalement utilisées pour mesurer la réponse de la consommation a des chocs de revenu transitoires, c’est à dire des chocs ne modifiant que le revenu présent des individus mais pas leur revenu futur. La difficulté à mesurer la réponse de la consommation à ces chocs vient du fait qu’ils ne sont pas directement observés dans les enquêtes, puisque seul le revenu total est déclaré, la part des changements de ce revenu causée par des chocs transitoires n’étant donc pas explicitée. Il existe deux méthodes pour parer à ce problème. Il est tout d’abord possible d’utiliser des expériences naturelles de chocs transitoires, comme par exemple des remises fiscales temporaires ou l’argent issu de gains de loterie. L’autre solution consiste à adopter une approche plus structurelle, en faisant des hypothèses sur la manière dont évolue le revenu et dont les individus se comportent afin d’en déduire des restrictions permettant d’identifier la réponse de la consommation a des chocs de revenus transitoires dans les données d’enquêtes.
Les études basées sur la première méthode concluent que la consommation répond fortement et significativement aux chocs de revenus transitoires considérés, alors que la second méthode ne trouve pas de réponse significative aux chocs identifiés dans les données d’enquêtes. Je souligne que la méthode plus structurelle suppose que la croissance de la consommation est indépendante des chocs transitoires passés. Lorsqu’au contraire ceux-ci ont un effet sur la croissance de la consommation présente, et que cet effet est négatif comme c’est le cas dans un modèle de cycle de vie avec incertitude, cet effet négatif n’est pas soustrait de l’effet positif d’un choc présent sur la consommation, qui se trouve alors minoré. Je développe un estimateur structurel généralisé, qui distingue l’effet des chocs passés de ceux des chocs présents. J’obtiens que la réaction de la consommation à un choc transitoire présent est en effet plus élevée que lorsque mesurée par les estimateurs structurels précédents : mon estimateur suggère qu’un choc qui augmente le revenu présent de 10 % entraîne en moyenne une hausse de 5,4 % de la consommation présente. En termes de part du choc consommé, cela implique qu’au moins 24 % du changement total de revenu causé par un choc transitoire est consommé dans l’année qui suit, ce qui concorde avec les chiffres obtenus par l’observation d’expériences naturelles.