Entre autonomie d’action et recentralisation fiscale, la difficile équation des collectivités locales

Essentielles à la dynamique économique et amortisseurs sociaux de premiers rangs, les collectivités locales voient leur autonomie fiscale de plus en plus réduite par les exonérations de taxes et d’impôts de production décidées par le gouvernement. Alors que l’investissement public est considéré comme un vecteur de compétitivité économique, comment donner aux acteurs locaux les moyens de mettre en œuvre des politiques territorialement ancrées ?

Parmi les mesures phares du plan de relance défini à l’automne 2020, la baisse de 10 milliards, reconductible, des impôts de production a alimenté les débats et chroniques. Réclamée de longue date par les organisations patronales, la réforme introduite en 2021 prévoit la suppression de la part régionale de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) tout en baissant la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) et la cotisation foncière des entreprises (CFE) sur les entreprises industrielles.

Les allègements d’impôts annoncés s’inscrivent dans une dynamique générale de réduction de la fiscalité, y compris locale. Ils s’ajoutent à la suppression quasi-totale de la taxe d’habitation de 2020 qui a considérablement réduit l’autonomie fiscale des collectivités locales : celle des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) était déjà ainsi passée de 54 % à 35 % tandis que celle des départements, dont l’impôt local a été remplacé par l’affectation d’une part de TVA, a été réduite à néant. Ainsi, alors que la fiscalité à pouvoir de taux dont disposent les collectivités locales représentait 60% des recettes avant les réformes, elle devrait atteindre 43% l’an prochain selon un rapport de la Banque Postale.

Disposer de moyens ou être autonome ?

Au-delà du problème posé par leur financement, ces nouvelles exonérations risquent, une fois encore, de réduire les recettes fiscales et par conséquent, d’amputer les ressources des collectivités locales. Or, les administrations publiques locales sont des acteurs clés de l’investissement public. En 2020, leur Formation Brute de Capital Fixe représente 57 % de celle de l’ensemble des administrations publiques et 2,1 % du PIB. En déduisant de ces investissements réalisés les aides qu’elles accordent et celles qu’elles reçoivent, il apparaît que les administrations publiques locales financent directement 45,0 milliards d’euros, soit 2,0 % du PIB et 41 % des investissements de l’ensemble des administrations publiques. A cela s’ajoute le financement de certaines dépenses sociales comme le RSA et des compétences, toujours plus importantes depuis la loi NOTRe du 7 août 2015, dans le domaine de la mise en œuvre des politiques sociales et économiques ciblant les entreprises notamment. Le rôle stabilisateur de ces acteurs a pris sa pleine dimension en 2020 ; alors que leurs comptes étaient fragilisés par la crise, les collectivités locales sont en effet parvenues à maintenir leur niveau d’engagement.

Pour pallier l’amputation des recettes, des compensations à l’euro près ont été prévues par le gouvernement sans pour autant satisfaire les élus locaux. D’abord parce que ces dispositifs sont réversibles et les conditions souvent strictes comme le montre le cas des collectivités ayant augmenté leur taux de taxe d’habitation entre 2017 et 2019 qui n’ont pas été compensées. Ensuite, parce que ce système réduit considérablement l’autonomie fiscale des collectivités locales et les empêche d’ajuster les niveaux de prélèvements en fonction des besoins, faisant dire aux élus locaux que ces dernières ne disposent plus que d’une liberté de gestion, subordonnée aux transferts financiers de l’Etat. Cette conception est pourtant celle portée par le gouvernement et, notamment par le Président de la République qui défend une décentralisation dotée de la seule autonomie financière, déjà définie par l’article 72 de la Constitution et confirmée par le Conseil constitutionnel en 2009. Pour limiter leur perte d’autonomie, certains élus réclament la compensation des collectivités sous forme d’un véritable dégrèvement assurant des recettes évolutives, au prorata des bases imposables. De son côté, l’Assemblée des Communautés de France demande à ce que les compensations restent inscrites dans le périmètre des « ressources propres » des collectivités et ne soient pas transformées dans les prochaines années en dotations figées voire dégressives, sans lien avec le développement économique local. A ce jour, ces demandes restent insatisfaites.

Les politiques publiques de soutien à l’activité économique : un ancrage local de plus en plus plébiscité

Cette dépendance du local par rapport au national soulève des questions alors que les politiques territorialement ancrées également appelées Place-based policies, sont de plus en plus plébiscitées car elles offrent une meilleure possibilité d'exploiter le potentiel de toutes les régions de manière coordonnée et systématique. Les approches adaptées au milieu sont associées à des avantages économiques et sociaux, dont une plus grande capacité à faire face à la concurrence dans l'économie mondiale et un lien plus étroit entre les besoins et les politiques. Ces qualités devraient leur permettre de favoriser une croissance plus inclusive et une applicabilité à des situations hétérogènes. Le ciblage des dépenses et des investissements sur les besoins locaux est d’autant plus efficace que les dépenses publiques financées par les administrations locales sont créatrices d’aménités favorables à la croissance de l’emploi et des entreprises  créateurs d’aménités pour les entreprises et générateur d’emplois. Ainsi, alors que l’effet négatif de la fiscalité locale sur les trajectoires et la survie des entreprises est loin d’être avéré, l’effet positif des investissements public, en partie financé par les impôts de production est lui, empiriquement prouvé. Ces résultats de recherche vont dans le sens d’une action publique spécifiquement conçue selon les territoires où elle est censée être déployée de plus en plus fréquemment portée par les élus locaux. Ainsi, depuis le printemps 2020, l’AdCF plaide pour une territorialisation du plan de relance qui serait portée par les intercommunalités s’appuyant sur les projets de territoire. L’architecture des contrats de relance et de transition écologique (CRTE) répond à cette demande.

Alors que le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale demande aux collectivités locales d’agir plus et mieux en faveur du développement des territoires, accroître l’incertitude des élus quant à aux ressources disponibles risque de perturber la programmation pluriannuelle des investissements et, peut-être aussi des dépenses de fonctionnement qui irriguent les économies locales. Déjà mises à mal  par la montée en puissance d’un entrepreneurialisme consistant à les remplacer par des dispositifs visant à renforcer l’attractivité des territoires à grands coups de marketing territorial comme l‘a analysé David Harvey, les politiques d’aménagement du territoire doivent se renouveler. Pour cela il est nécessaire de réviser l’organisation des politiques publiques et d’engager une réflexion sur les compétences requises pour coordonner l’action des acteurs publics et clarifier l’architecture et les relations financières entre l’Etat et les collectivités.

Ce billet également été publié le 20 mai 2021 sur le site www.touteconomie.org/