L'épidémie de coronavirus représente un test de résistance économique sévère pour l'Europe ainsi qu'un test de l’unité européenne. Cet article traite de la manière dont la crise pourrait se dérouler et de la réponse de politique économique adaptée. Il plaide en faveur d'un plan d'urgence global dans lequel l'Union assumerait une part significative de l'effort collectif.
AUTEURS
Agnès Bénassy-Quéré, Ramon Marimon, Jean Pisani-Ferry, Lucrezia Reichlin, Dirk Schoenmaker, Beatrice Weder di Mauro
(Trad. Sébastien Lumet)
Par-delà sa dimension de santé publique, l’épidémie de coronavirus représente pour l’Europe un test de résistance économique sévère et inattendu. Il s’agit cette fois d’un choc sur l’économie réelle qui frappe tous les pays européens de manière plus ou moins égale (les décalages dans le temps ne seront bientôt plus qu’une note de bas de page). Les réformes et pare-feux mis en place après la crise financière mondiale et la crise de l’euro ont été conçus pour lutter contre un autre type de crise émanant du secteur financier ou de la situation budgétaire d’un État particulier. Cette fois-ci, c’est différent.
Pour cette raison, et parce que ses retombées sur l’intégration peuvent s’avérer persistantes, cette crise appelle à une réponse commune à l’échelle européenne. Il ne s’agit pas seulement d’un crash test économique, mais aussi d’une mise à l’épreuve de l’unité européenne. La capacité des leaders nationaux à gérer la peur et la souffrance de leurs concitoyens restera dans les mémoires. De même, cette crise est une occasion pour les dirigeants européens de renforcer la confiance et de faire preuve d’unité, de résilience, de cohérence et de solidarité. Il leur appartient de démontrer que l’Europe peut contribuer à la réponse à la crise et est capable de mettre en place un plan de secours efficace. Quelques semaines seulement après le Brexit, il est temps pour l’Union européenne de montrer qu’elle est capable de tenir ses promesses face à des événements dramatiques.
Cette crise est une occasion pour les dirigeants européens de renforcer la confiance et de faire preuve d’unité, de résilience, de cohérence et de solidarité.
La maison Europe n’a pas de toit
Il y a douze ans, la crise financière mondiale a déclenché une récession majeure et a marqué pour de nombreux pays le début d’une « décennie perdue ». Aujourd’hui l’Europe entre dans cette nouvelle crise avec à la fois des forces et des faiblesses. Parmi les points forts, on peut citer le fait que le secteur bancaire est mieux capitalisé et dispose de plus d’actifs liquides, que les marchés des produits dérivés sont plus transparents, que le Mécanisme européen de stabilité peut servir de filet de sécurité en cas de défaut bancaire et, surtout, qu’il peut fournir une aide d’urgence à un État membre, sous réserve d’un programme d’ajustement. Enfin, et c’est là le plus important, la BCE peut contribuer à endiguer une attaque contre un État en achetant des quantités potentiellement illimitées d’obligations souveraines, là encore sous réserve d’un programme d’ajustement. Ainsi, les banques sont aujourd’hui plus fortes qu’elles ne l’étaient auparavant ; et bien que les États soient plus faibles (en raison des dettes accumulées), le risque d’équilibres multiples sur le marché obligataire est réduit.
Quant aux faiblesses, la BCE a atteint les limites de sa puissance de tir, avec un taux sur les réserves des banques toujours négatif et une marge de manœuvre réduite pour plus d’assouplissement quantitatif. Une période prolongée de taux d’intérêt extrêmement bas a encouragé l’endettement et la hausse des prix des actifs dans la zone euro – certes via des canaux multiples et à des degrés divers selon les États membres. Cette séquence a affaibli les secteurs des banques, des fonds de pension et des assurances-vie. Et bien que les politiques macro-prudentielles aient été activées dans la plupart des pays, de nombreux acteurs entrent endettés dans la crise, avec des actifs surévalués et des marges d’intérêt réduites.
Sur le plan budgétaire, le toit de la maison Europe n’est pas seulement troué. Il fait totalement défaut pour le type de choc qui se profile à l’horizon.
Sur le plan budgétaire, le toit de la maison Europe n’est pas seulement troué. Il fait totalement défaut pour le type de choc qui se profile à l’horizon. Le budget européen est conçu pour des temps calmes et non pour faire face aux situations d’urgence. Les négociations budgétaires avant la crise du Covid-19 ont tourné autour de la question de savoir si ce budget devait s’élever à 1,11 % du revenu national brut (proposition de la Commission européenne), à 1,02 % (à savoir le niveau du cadre financier pluriannuel 2014-2020) ou à 1,07 % (un éventuel compromis). Elles sembleront probablement pathétiques aux futurs historiens, lorsqu’ils compareront les réactions chinoises et européennes à cette crise. Mais le plus grave est que la situation met en évidence l’inadéquation d’un budget pré-alloué par période de sept ans : aucune marge de manœuvre n’est laissée pour anticiper certaines dépenses (qui devraient être financées par emprunts communs) et il y a même peu de place pour la réallocation des dépenses d’une priorité à l’autre. Les longues discussions sur l’opportunité de créer une capacité de stabilisation budgétaire au niveau de la zone euro n’ont abouti à rien, si ce n’est au microscopique BICC (Instrument budgétaire pour la convergence et la compétitivité) adopté en octobre 2019, qui n’est pour pas nous aider ici.
Le plus grave est que la situation met en évidence l’inadéquation d’un budget pré-alloué par période de sept ans : aucune marge de manœuvre n’est laissée pour anticiper certaines dépenses (qui devraient être financées par emprunts communs) et il y a même peu de place pour la réallocation des dépenses d’une priorité à l’autre.
Une crise économique très grave pour l’Europe
Le choc COVID-19 combine les caractéristiques d’un choc de demande et d’un choc d’offre. En prenant pour hypothèse de travail que l’épidémie sera terminée à l’été 2020, la crise en Europe pourrait se dérouler en quatre phases qui se chevaucheraient partiellement :
Phase 1 – le choc chinois (janvier-mars) : effets négatifs de la crise sanitaire chinoise principalement sur l’offre par le biais des chaînes de valeur manufacturières mondiales. Les pénuries du côté de l’offre sont spécifiques à certains producteurs et à certains produits ; les effets sectoriels de ce choc sont importants mais les effets macroéconomiques sont faibles puisque les secteurs les plus touchés (équipements de transport, électronique, produits pharmaceutiques, textiles) représentent environ 4 % du PIB (davantage pour l’Allemagne), selon les données de l’OCDE.
Phase 2 – perturbations sectorielles (à partir de février) : un choc de la demande à la fois sectorielle et régionale frappant principalement le tourisme, le transport aérien, l’hôtellerie et les loisirs. Il s’agit d’un choc plus violent mais, là encore, le secteur touché est globalement modeste – maximum, 5 % du PIB si la restauration est prise en compte, avec quelques variations d’un pays à l’autre (plus d’impact en Espagne qu’en Allemagne).
Le choc COVID-19 combine les caractéristiques d’un choc de demande et d’un choc d’offre.
Phase 3 – crise généralisée (début mars en Italie, 1 à 3 semaines plus tard dans les autres pays européens) : choc d’offre global résultant des mesures de confinement et de restriction de la mobilité. La nature de ces mesures ne sera pas nécessairement la même dans tous les pays, mais tous devront s’attaquer à l’accélération de la contagion par des mesures telles que les interdictions de voyager, la fermeture des systèmes de transports publics et la fermeture d’écoles. Ces mesures de grande envergure auront fatalement un impact très dommageable sur le plan économique, notamment en raison de la réduction de l’offre de main-d’œuvre (environ 15 % pour les fermetures d’écoles, sur la base de simulations pour le Royaume-Uni1), des obstacles aux activités commerciales, de la contraction de la consommation sociale et des perturbations financières associées (sur les marchés boursiers ou par le canal des normes de crédit appliqués par les banques). La production trimestrielle agrégée devrait fortement chuter durant cette phase, mais, espérons-le, de moins de 10 %. La baisse des prix du pétrole agira comme un stabilisateur très partiel, dans la mesure où les autres interactions internationales seront clairement négatives.
Phase 4 – reprise (à partir de mai ou juin) : à ce stade un fort rebond est probable mais pourrait être atténué par l’hystérèse due à l’érosion de la confiance, aux pertes de revenus des entreprises, aux faillites de PME et aux contraintes de crédit résultant de l’accumulation de prêts non-performants dans les bilans des banques, mais aussi à la reconstitution de l’épargne des ménages. Le danger est que de tels effets d’inertie empêchent un retour à la trajectoire d’avant la crise une fois l’urgence sanitaire passée. Là encore, d’importantes interactions internationales seront à l’œuvre, qui aggraveront potentiellement les difficultés nationales et régionales. Si les leçons de la crise financière mondiale de 2008 sont pertinentes, c’est parce qu’elles soulignent à quel point les répercussions et les conséquences de chocs majeurs peuvent être fortes et persistantes.
La baisse des prix du pétrole agira comme un stabilisateur très partiel, dans la mesure où les autres interactions internationales seront clairement négatives.
La réponse politique adéquate dépend de la phase dans laquelle nous nous trouvons
La bonne réponse politique dépend de la phase dans laquelle se trouve l’économie. Au cours de la première phase, les possibilités d’intervention au niveau global étaient limitées. Certaines mesures sectorielles ciblées, telles que le chômage partiel (Kurzarbeit), étaient déjà en cours de discussion en Allemagne pour les entreprises touchées par les perturbations de leurs échanges commerciaux avec la Chine.
Dans la deuxième phase, des mesures d’urgence en matière de liquidité – à commencer par la mise en place d’allongements automatiques des délais de paiement des impôts et des cotisations sociales, mais aussi de régimes de chômage partiel – ont été ou sont en cours de déploiement au niveau national. Il s’agit dans l’ensemble de réponses adéquates, en plus de l’octroi de financements supplémentaires pour les soins de santé.
La phase 3 nécessite des mesures de soutien d’urgence généralisées. Tout d’abord, les dépenses de santé (infrastructures temporaires, équipements, embauches, heures supplémentaires pour le personnel médical) et les dépenses connexes (sécurité, contrôle des mesures de confinement, etc.) doivent être considérablement augmentées. Le coût correspondant est difficile à évaluer, mais pourrait s’élever à plusieurs dixièmes de points de PIB annuel. Deuxièmement, certains secteurs de services subiront des pertes de revenus irrécupérables, pas seulement un manque ponctuel de liquidités. Les PME, en particulier, vont avoir besoin d’un soutien financier important, sous la forme d’allégements fiscaux, de lignes de crédit concessionnelles et de subventions additionnelles aux mesures précédentes afin de prévenir les faillites. L’aide temporaire au chômage partiel doit être activée car elle permet d’amortir le choc et d’éviter les licenciements, ce qui est nécessaire face à une baisse d’activité exogène. Une aide directe aux ménages, sous forme d’allègement des charges (exonérations fiscales ou allègement du paiement des factures d’électricité, comme annoncé en Italie) ou de distributions de liquidités (comme déjà annoncé à Hong Kong et à Singapour) peut également être nécessaire, au même titre que des transferts directs au profit des travailleurs indépendants.
La phase 3 nécessite des mesures de soutien d’urgence généralisées.
Dans l’éventualité d’un confinement d’un mois entraînant une baisse temporaire de 50 % de l’activité du secteur privé, nous estimons que le coût des mesures exceptionnelles de soutien s’élèverait à 0,5 à 1 % du PIB annuel2. Le coût direct des mesures discrétionnaires (mesures sanitaires d’urgence et de confinement mais aussi d’aide économique) serait donc de l’ordre de 1 à 1,5 % du PIB annuel. Ce chiffre peut paraître élevé, mais l’Italie a déjà annoncé un programme de soutien d’urgence de 10 milliards d’euros, soit 0,6 % du PIB3. Si l’on tient compte en outre de la baisse spontanée des recettes fiscales sous l’effet de la crise, on peut anticiper une détérioration à court terme du solde budgétaire d’environ 2 % du PIB.
La réponse économique devrait également impliquer le niveau européen.
Ces chiffres sont suffisamment importants pour mettre la capacité budgétaire des États membres les plus vulnérables rudement à l’épreuve. Or, les effets des mesures d’endiguement dépassent largement les frontières des États. Dès lors, la réponse économique devrait également impliquer le niveau européen.
La phase 4 nécessitera un important soutien budgétaire à la demande pour éviter les effets d’inertie. L’ampleur de l’effort dépendra de la durée et de la gravité de la récession de la phase 3, mais il est préférable de prévoir une action suffisamment significative, complète et durable pour assurer la résorption des plaies héritées de la crise. Au cours de cette phase, la priorité devra être accordée à la demande agrégée plutôt qu’à des mesures du côté de l’offre ou à caractère sectoriel. Le moyen le plus adapté sera probablement d’opérer des transferts directs aux ménages. Il est nécessaire de planifier cette relance à l’avance afin qu’elle puisse être activée au bon moment. Là encore, la dimension européenne sera essentielle à l’internalisation des externalités.
Au cours des phases 2 et 3, la BCE devrait se tenir prête à fournir des liquidités aux banques susceptibles d’être affectées par la détérioration de la qualité du crédit, tout en faisant face à des demandes urgentes de crédit à court terme. La BCE a également une longue expérience des opérations (ciblées) de refinancement à long terme et devrait envisager de lancer un programme de ce type (sous condition d’octroi des prêts bancaires aux PME). En ce qui concerne la politique monétaire, la meilleure ligne de conduite serait celle de la poursuite conjointe d’un assouplissement monétaire et d’une relance budgétaire. La baisse des prix du pétrole aura une incidence sur l’inflation et, comme cela s’est produit par le passé, pourrait affecter les anticipations d’inflation des ménages et des entreprises. Il est donc essentiel que la BCE communique fermement sur son objectif d’inflation pour éviter un scénario déflationniste.
En fin de compte, la phase 3 ne créera pas seulement un problème de liquidité, mais aussi un problème de solvabilité dans les différentes économies, bien que dans une mesure variable selon les secteurs et la taille des entreprises.
Compte tenu de la hausse prévisible des prêts non performants (PNP), la BCE et les autorités nationales de contrôle bancaire pourraient temporairement alléger (par exemple, pour le reste de l’année) le programme européen de réduction des PNP. Une dérogation temporaire sur la mise en œuvre des ratios de Bâle pour la catégorisation des prêts pourrait également être utile. Enfin, certains coussins spécifiques pourraient être assouplis. Toutefois, les autorités de surveillance ne devraient pas permettre une détérioration massive des bilans des banques, car celles-ci seront nécessaires pour financer le redémarrage de l’économie en phase 4. Les garanties accordées par la Banque européenne d’investissement contribueraient à protéger les bilans des banques, tout en permettant l’extension des lignes de crédit aux PME.
En fin de compte, la phase 3 ne créera pas seulement un problème de liquidité, mais aussi un problème de solvabilité dans les différentes économies, bien que dans une mesure variable selon les secteurs et la taille des entreprises. Ces problèmes de solvabilité ne peuvent être résolus par la politique monétaire et encore moins par des politiques micro et macro-prudentielles ; l’intervention budgétaire sera essentielle.
Une réponse budgétaire européenne
Dans les circonstances actuelles, le Conseil économique et financier de l’UE devrait décider officiellement que toutes les dépenses publiques supplémentaires temporaires causées par la crise sanitaire seront exclues de la mesure des déficits en 2020 pour l’évaluation du respect du pacte de stabilité. La Commission européenne a déjà donné des indications à ce sujet, mais une décision formelle de l’Union couvrant la période d’urgence sanitaire est nécessaire. Il faudrait pour cela déclencher la clause de sauvegarde générale introduite dans le Pacte en 2011 pour faire face à « une circonstance inhabituelle indépendante de la volonté de l’État membre concerné et ayant des effets sensibles sur la situation financière des administrations publiques, ou s’il est consécutif à une grave récession économique » (règlement du Conseil n° 1177/2011, article 2).
Toutefois, comme après la crise financière mondiale, la contrainte majeure n’est peut-être pas le Pacte de stabilité, mais plutôt la capacité des gouvernements nationaux à emprunter plusieurs points de pourcentage supplémentaires du PIB. A cet égard, les États membres ne sont pas égaux. Entre le 22 février et le 10 mars 2020, les taux d’intérêt des obligations souveraines à 10 ans ont baissé de 0,3 point de pourcentage en Allemagne et sont restés stables à un niveau négatif en France ; mais ils ont augmenté de 0,4 et 0,15 point de pourcentage en Italie et en Espagne respectivement. On pourrait faire valoir que cette divergence est le résultat logique de situations différentes en termes de viabilité de la dette. Cependant, il n’est pas dans l’intérêt de l’Allemagne ou de la France de voir l’Italie ou l’Espagne restreindre les dépenses liées à l’épidémie, car cela pourrait avoir un impact sur elles sous forme de contagion et de crise économique supplémentaire. À l’inverse, les mesures d’endiguement coûteuses auront des retombées positives sur d’autres pays et devraient donc faire l’objet d’un cofinancement.
Dans les circonstances actuelles, le Conseil économique et financier de l’UE devrait décider officiellement que toutes les dépenses publiques supplémentaires temporaires causées par la crise sanitaire seront exclues de la mesure des déficits en 2020 pour l’évaluation du respect du pacte de stabilité.
Un programme d’urgence est nécessaire au niveau européen
La priorité la plus urgente est d’aider à financer le coût supplémentaire de l’amélioration des infrastructures hospitalières (en particulier le nombre de lits de soins intensifs) et de rémunérer la charge de travail supplémentaire du personnel médical. La deuxième priorité est de financer les mesures complémentaires de santé publique, telles que le confinement et la fermeture des écoles. Cette mutualisation des coûts des soins de santé devrait être soumise à l’examen d’un comité d’experts. Les dépenses éligibles pourraient inclure la sécurité, le chômage partiel et les aides ciblées sur des secteurs spécifiques tels que l’hôtellerie, les compagnies aériennes et les loisirs (après avoir allégé les contraintes existantes en matière d’aides d’État, ce qui devrait être plus facile à faire si tous les pays sont concernés simultanément que si un seul le demande). La Commission pourrait débloquer les fonds sur une base hebdomadaire et effectuer les audits une fois la crise passée, espérons-le, au cours du second semestre de l’année. Transparence et bureaucratie allégée seront un élément clé du succès de l’intervention budgétaire. Dans chaque pays, il est clair que le choc est véritablement exogène, et donc que l’argument de l’aléa moral (les entreprises et les travailleurs vont en profiter pour vivre au crochet des États) ne s’applique pas, d’où le déclenchement partout de dispositifs de chômage partiel et de soutien aux entreprises. Le même raisonnement devrait s’appliquer au niveau de l’Union.
Nous préconisons un dispositif d’urgence d’ensemble par lequel l’UE assumerait la responsabilité d’une part significative de l’effort budgétaire. Pour ce faire, il faudrait trouver les moyens de dégager des dizaines de milliards d’euros à partir des ressources de l’UE, malgré les limites actuelles de l’utilisation du budget de l’UE.
Dans chaque pays, il est clair que le choc est véritablement exogène, et donc que l’argument de l’aléa moral (les entreprises et les travailleurs vont en profiter pour vivre au crochet des États) ne s’applique pas, d’où le déclenchement partout de dispositifs de chômage partiel et de soutien aux entreprises. Le même raisonnement devrait s’appliquer au niveau de l’Union.
Le Président du Conseil européen, Charles Michel, et la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ont déclaré le 10 mars dernier que l’UE devait à la fois participer à la lutte contre la maladie et agir sur le front macroéconomique. Ils ont notamment annoncé des initiatives qui restent à préciser. Nous nous félicitons de ces initiatives, mais soulignons qu’un simple changement de nom de crédits budgétaires existants et l’annonce de chiffres importants basés sur des multiplicateurs virtuels seront peu utiles. La situation exige l’allocation, au niveau de l’UE, de nouveaux fonds consacrés à la lutte contre les conséquences de la maladie, où qu’elles se produisent dans l’Union. Ce n’est pas le moment pour les membres de l’UE de craindre la « mutualisation » des dépenses. Ils devraient plutôt craindre les conséquences du cloisonnement.
La priorité la plus urgente est d’aider à financer le coût supplémentaire de l’amélioration des infrastructures hospitalières (en particulier le nombre de lits de soins intensifs) et de rémunérer la charge de travail supplémentaire du personnel médical.
Les sources de financement possibles sont les suivantes :
- Les fonds communautaires existants, notamment le Fonds européen de solidarité et le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation, qui devraient être considérablement augmentés via un emprunt puisqu’ils ne se montent actuellement qu’à moins d’un milliard d’euros.
- Des réaffectations au sein du budget de l’UE. Les crédits budgétaires affectés aux fonds structurels dans le budget 2020 devraient être mobilisés pour l’initiative d’urgence en matière de santé. L’article 317 du TFUE permet de réaffecter des fonds au sein du budget. Il sera important d’apporter une aide à tous les États membres, indépendamment de leur part dans les fonds structurels ou de la répartition par pays des fonds non encore dépensés. Une solution simple consisterait à réaffecter, au sein du budget de l’UE, des postes budgétaires spécifiques, et à négocier un accord politique qui compenserait le manque à gagner pour certains Etats membres au moyen d’une allocation exceptionnelle dans le budget 2021.
- Une coopération entre les États membres en dehors du cadre du budget de l’UE. L’article 122, paragraphe 2, pourrait servir de base pour organiser cette coopération volontaire de la même manière que pour la création du Fonds européen de stabilité financière.
Ce n’est pas le moment pour les membres de l’UE de craindre la « mutualisation » des dépenses. Ils devraient plutôt craindre les conséquences du cloisonnement.
Quel plan B ?
Nous savons que notre proposition a peu de chances de recevoir d’emblée un fort soutien de la part des décideurs politiques dans certains pays européens. Mais avant de l’écarter, il faut comprendre les risques qu’implique une attitude de déni.
Le point de départ est que, même si l’hypothèse de travail aujourd’hui est celle d’une crise essentiellement temporaire, les marchés financiers sont myopes : ils ne prennent pas en compte les profits ou les recettes fiscales à venir comme ils le devraient compte tenu du faible niveau des taux d’intérêt. Il y a donc la place pour des équilibres multiples, et nous ne devrions pas nous fier à une quelconque sagesse des marchés.
Il est temps pour les Européens de sérieusement réfléchir aux coûts d’opportunité, qui sont à la fois économiques, sociaux et politiques.
Que se passerait-il en cas de hausse soudaine des taux d’intérêt dans certains États membres, ce qui rendrait leurs dettes insoutenables ? Cette menace n’est pas théorique, certains gouvernements étant déjà sur le fil du rasoir. Dans une telle situation, il n’y aurait pas d’autre solution qu’un programme d’assistance financière du Mécanisme européen de stabilité ou, plutôt, l’activation du programme d’opérations monétaires sur titres (Outright Market Transactions, OMT) de la BCE. Le programme d’ajustement budgétaire devrait être reporté à la période d’après-crise, avec tous les problèmes de gouvernance que cela implique.
Finalement, pas sûr que le plan A soit plus coûteux que le plan B. Il est temps pour les Européens de sérieusement réfléchir aux coûts d’opportunité, qui sont à la fois économiques, sociaux et politiques.
SOURCES
1 Sadique, M Z, E J Adams and W J Edmunds (2008), “Estimating the costs of school closure for mitigating an influenza pandemic”, BMC Public Health, 8 April.
2 En supposant que le gouvernement couvrirait un tiers des retombées de la réduction de l’activité économique et que les deux autres tiers seraient supportés par les entreprises et, dans une moindre mesure, par les ménages.
3 Il a été porté depuis à 25 milliards.
CRÉDITS
Cette tribune traduite a été publiée en version française sur le Grand Continent : https://legrandcontinent.eu/fr/2020/03/13/covid-19-economie/ et originellement, pour VoxEU, CEPR Policy Portal : https://voxeu.org/article/covid-19-europe-needs-catastrophe-relief-plan