Comment les Européens peuvent répondre à Trump

Quelques semaines seulement de présidence de Donald Trump et monte déjà un parfum de basculement pour les Européens. Il apparait désormais clair que cette seconde présidence, si elle s’inscrit dans la continuité de la première sur certains aspects, dépasse de très loin ce qu’on imaginait il y a huit ans. Ce billet de Vincent Vicard reprend et développe des analyses initialement publiées sur le site Alternatives économiques.

Quelques semaines seulement de présidence de Donald Trump et monte déjà un parfum de basculement pour les Européens. Il apparait désormais clair que cette seconde présidence, si elle s’inscrit dans la continuité de la première sur certains aspects, dépasse de très loin ce qu’on imaginait il y a huit ans. 

Pour les Européens, la situation est très différente de celle qui prévalait en 2017. D’abord parce que la guerre en Ukraine a profondément rebattu les cartes : la sécurité est redevenue un enjeu central pour l’Europe. Or, avec un Trump remettant ouvertement en cause la garantie militaire américaine, l’Union européenne se retrouve face à une menace existentielle. C’est d’abord cette situation sécuritaire nouvelle qui change la donne dans les relations transatlantiques.

Une interdépendance économique entre Union européenne et États-Unis

Sur le plan commercial, l’Union européenne est dans une situation plus équilibrée. Bien sûr elle reste plus ouverte au commerce international que les Etats-Unis et en importe notamment du gaz naturel liquéfié dont il est aujourd’hui difficile de se passer. Mais pour une grande zone comme l’Union européenne, le commerce international reste au total limité (les exportations représentent près de 15 % du PIB), et les États-Unis, bien que premier pays de destination, n’en représentent que 8 % en 2022. Les estimations pointent ainsi une exposition limitée de l’économie européenne en cas d’imposition de droits de douane ; une situation très différente de celles du Canada et du Mexique. 

Par ailleurs, son grand marché constitue un débouché fondamental pour les entreprises américaines, et surtout celles de la tech qui y réalisent une part importante de leurs revenus. Tesla réalise ainsi près du cinquième de ses ventes en Europe (et y produit pour le marché européen dans son usine de Berlin), là où Meta y réalise près du quart de ses revenus. C’est notamment pour cela que les attaques contre la taxation et les régulations européenne dans le secteur numérique se font si pressantes du côté de l’administration américaine et des dirigeants d’entreprises qui lui sont proches. Difficile pour les géants américains de la tech de se priver d’un tel marché, d’autant plus dans le contexte de confrontation sino-américaine dans lequel les technologies digitales jouent un rôle central aujourd’hui. 

Les interdépendances ne tiennent par ailleurs pas qu’au volume des échanges ou des ventes des entreprises des deux côtés de l’Atlantique. Certains produits échangés sont ainsi plus stratégiques que d’autres, et être dépendants de partenaires commerciaux sur ces produits peut générer des vulnérabilités. Et de ce point de vue, l’Union européenne est aussi dans une posture intéressante vis-à-vis des États-Unis : sur les 117 produits pour lesquels les États-Unis présentent des dépendances dans des secteurs stratégiques, 32 proviennent de l’UE (contre seulement 4 sur 122 dans le sens inverse). Sur ces produits, les États-Unis auront du mal à trouver des alternatives, ce qui accentuerait le coût d’imposition de droits de douane. La Chine, qui est dans une position dominante de ce point de vue, tant vis-à-vis des États-Unis que de l’UE, ne s’est pas privée de manier l’arme des restrictions aux exportations dans ses représailles face aux mesures étatsuniennes. 

L’interdépendance économique entre les deux blocs reste un fait incontournable – bien loin du rapport de force unilatéral que laisse entendre le président Donald Trump.

Des armes pour garantir la sécurité économique de l’Union européenne

Et contrairement à la première présidence de Donald Trump, l’Union européenne a développé les instruments pour se prémunir de politiques de coercition étrangère et garantir sa sécurité économique. Ces instruments lui permettent d’imposer des mesures de représailles bien au-delà des seuls droits de douane sur les importations de biens. L’instrument anti-coercition autorise ainsi des mesures de restriction commerciale sur les importations comme les exportations, d’interdiction d’accès aux marchés publics, sur les échanges de service, de restriction des investissements directs étrangers ou sur la protection de la propriété intellectuelle. Un champ très large donc, qui peut être complété par d’autres instruments mis en place récemment sur les subventions étrangères, sur l’accès aux marchés publics, sur le contrôle des investissements directs étrangers ou sur les régulations du marché numérique. Et qui pourrait notamment permettre de cibler les géants de la tech dont plusieurs dirigeants semblent aujourd’hui, plus que les industries traditionnelles, à la pointe des attaques contre l’UE. 

Ces nouveaux instruments donnent des marges de manœuvre à l’Union européenne dans une éventuelle confrontation commerciale avec les États-Unis. Rappelons par ailleurs que le déclenchement de l’instrument anti-coercition se décide à la majorité qualifiée et non à l’unanimité des pays membres. De ce point de vue, l’usage récent d’instruments de défense commerciale vis-à-vis de la Chine dans le secteur des véhicules électriques, sans l’assentiment de l’Allemagne notamment, témoigne d’un changement d’approche de la Commission européenne. Pour maintenir la cohésion européenne, il faudra cependant aussi s’attacher à compenser les entreprises ou les États les plus touchés par les mesures décidées par l’administration Trump ou les représailles européennes. 

Accentuer les tournants des politiques européennes 

Avant même l’élection de Trump, Mario Draghi prévoyait déjà une lente agonie à l’UE si rien n’était fait pour changer les tendances en place depuis la crise financière de 2008. La bonne nouvelle de ce point de vue, c’est que les solutions pour faire face économiquement à la politique de Donald Trump sont les mêmes que certaines prônées par Mario Draghi, et qui ont déjà fait leur chemin dans la tête des dirigeants européens. 

Deux directions en particulier constituent un tournant dans la politique économique européenne, qu’il s’agit de consolider. D’abord le constat que les stratégies non coopératives européennes, qui visaient à augmenter les exportations par la baisse des coûts de production, ont surtout fragilisé la compétitivité européenne face aux grands acteurs mondiaux en exacerbant une concurrence stérile entre États-membres. Dans le contexte international plus conflictuel dans lequel nous sommes entrés depuis plusieurs années maintenant, basculement que les menaces tous azimuts de Donald Trump vient confirmer, l’UE doit se reposer plus sur son marché et sa demande intérieure comme source de croissance, comme le réclame à juste titre Mario Draghi.

Ensuite, monte la nécessité de politiques industrielles verticales ciblant certains secteurs considérés comme stratégiques, que cela soit pour des raisons de transition écologique, de préservation de certains tissus industriel européens, ou de sécurité économique voire de sécurité tout court dans le secteur de la défense. C’est d’ailleurs bien parce que la politique industrielle de Joe Biden concurrençait directement les Européens sur les industries vertes, que la réaction européenne a été aussi forte à l’annonce de l’Inflation Reduction Act. L’abandon par Donald Trump d’un certain nombre de mesures mises en place par son prédécesseur peut constituer de ce point de vue une opportunité pour les Européens. 

L’enjeu ici est de ne pas troquer une course aux subventions pour une course au moins disant fiscal et réglementaire, d’autant plus que l’UE aurait peu de chance de la gagner et beaucoup d’y perdre ce qui fait sa force. N’oublions pas que sur le plan industriel, c’est la Chine qui fait aujourd’hui figure de leader dans de nombreux secteurs, et en particulier les industries vertes, un pays qui ne brille pas par son absence d’intervention publique. 

L’arrivée de Donald Trump rend ces basculements dans la politique économique européenne d’autant plus impérieux. L’UE a les moyens de répondre sur le plan économique, à condition de dépasser les divergences européennes, de ne pas renoncer à ce qui fait sa force et de ne pas hypothéquer l’avenir dans des concessions hâtives.

 

Lien vers le billet originel publié sur le site Alternatives économiques