Recrutement des Professeurs des universités : comment échapper aux pratiques clientélistes et au mandarinat ?

La loi de programmation de la recherche, récemment adoptée, supprime la qualification nationale pour concourir au statut de Professeur des Universités par le Conseil National des Universités pour les maîtres de conférences. Le recrutement des Professeurs sera donc désormais essentiellement mené au niveau local par chaque université. Après avoir rappelé les enjeux et les risques graves induits par une telle mesure dans une note de blog parue le 19 janvier, Valérie Mignon, Présidente de l'AFSE et de la section 05 du CNU, propose dans un nouveau billet des principes et critères pratiques destinés à éviter de telles dérives. A ce sujet, voir aussi l'autre tribune publiée le 19 janvier dernier, dans laquelle un collectif d'enseignants-chercheurs propose une charte des bonnes pratiques à mettre en place dans ce nouveau contexte.

Avec la promulgation de la Loi de Programmation de la Recherche (LPR) à la fin du mois de décembre 2020, l’année 2021 marque un tournant majeur dans les modalités de recrutement à l’université.

Outre la création de 1400 contrats de pré-titularisation, dits également « chaires de professeurs juniors », et de contrats à durée indéterminée de mission scientifique, le changement crucial concerne la fin de l’étape nationale, jusqu’alors indispensable, de qualification aux fonctions de Professeur des universités par le Conseil National des Universités (CNU) pour les Maîtres de conférences titulaires.

La communauté universitaire s’est, dans une très large majorité, mobilisée contre la suppression de la qualification par le CNU, mettant clairement en avant les risques et dérives encourus, au premier rang desquels figurent le clientélisme et le mandarinat[1]. Ces craintes, réelles, résultent du fait que l’appréciation des aptitudes des Maîtres de conférences à accéder au corps des Professeurs des universités revient désormais aux Etablissements, sans le moindre recours à l’instance nationale. A une évaluation nationale des candidats par les pairs dans la discipline se substitue ainsi une évaluation « locale ».

Sur la forme, comment éviter les dérives, si néfastes pour nos universités, et préserver un système universitaire de qualité, reposant sur des modes de recrutement transparents et basés sur l’évaluation impartiale des candidats par les pairs dans la discipline ?

Le principe essentiel est d’assurer une évaluation qui, à défaut d’être nationale, doit reposer en très grande partie sur une expertise externe à l’université dans laquelle le candidat est en poste et/ou postule. Ce principe, très simple, apparaît encore plus fondamental et nécessaire suite à l’annonce par la Ministre, le 1er février 2021, de l’ouverture de 800 promotions de Maîtres de conférences dès cette année. Si l’on ne peut évidemment que se réjouir de ces perspectives pour nos collègues Maîtres de conférences qui se trouvaient souvent trop longtemps bloqués au dernier échelon de la hors-classe, l’on ne peut aussi manquer de s’alarmer sur la réapparition des pratiques clientélistes et, donc, mandarinales.

En effet, et c’est là que la porte est grande ouverte à de telles dérives, l’objectif annoncé est que l’accès des Maîtres de conférences au corps des Professeurs se réalise, pour la très grande majorité d’entre eux, dans l’université au sein de laquelle ils sont en poste. Outre le fait que cela nuit lourdement à la mobilité qui est pourtant à encourager car elle est souvent source d’élargissement des connaissances et des compétences, comment dès lors éviter les pratiques mandarinales envers certains collègues qui risquent de se voir accablés de tâches au prix d’une promesse de promotion au rang de Professeur ? Avec la suppression de la qualification par une instance nationale, comment assurer une évaluation impartiale et indépendante du dossier d’un collègue Maître de conférences que l’on côtoie quotidiennement ?

Cette garantie ne peut être obtenue que si l’évaluation est effectuée par des membres externes, non bruitée par les relations interpersonnelles entre le candidat et les collègues de son propre Etablissement. Les dossiers des candidats aux fonctions de Professeur dans leur université d’origine doivent ainsi être évalués par deux rapporteurs externes à l’Etablissement. Un candidat postulant souvent sur plusieurs postes au cours d’une même campagne, des membres du CNU pourraient par ailleurs réaliser une telle expertise, ce qui permettrait d’assurer une certaine cohérence dans l’évaluation. En l’absence d’une expertise nationale collégiale, seule une procédure « externe » permet de garantir une évaluation objective, impartiale et indépendante, basée sur l’appréciation de la qualité réelle du dossier du candidat par les pairs et non pas sur des services rendus au niveau local.

Sur le fond, quels critères mettre en avant pour les recrutements et les promotions au rang de Professeur des universités ? Le collectif d’enseignants-chercheurs Pluralisme & Qualité en a défini plusieurs, synthétisés ci-après.

Le premier critère reste naturellement celui de l’excellence académique, attesté notamment par les publications du candidat dans des revues à comité de lecture de référence et reconnues par la profession, mais aussi dans d’autres supports comme les livres ou les publications dans des ouvrages collectifs des grands éditeurs.

Ainsi, si les publications dans les revues à comité de lecture de tout premier plan constituent une condition nécessaire pour accéder au corps des Professeurs des universités, le pluralisme des supports de publication doit aussi être valorisé. Cet aspect revêt une importance toute particulière aujourd’hui, avec l’adhésion du CNRS à la déclaration Dora sur l’évaluation de la recherche se traduisant par l’abandon de toute forme de classement des revues et renforçant la prise en compte de la variété des productions de la recherche.

Si l’excellence académique constitue évidemment le critère fondamental d’évaluation, l’ensemble des fonctions que recouvre le métier d’enseignant-chercheur doit être reconnu tant pour un recrutement que pour une promotion. Il est indispensable de considérer, de reconnaître et de valoriser toute la palette des fonctions exercées : l’excellence académique au travers des publications, l’animation de la recherche, la coordination de réseaux et de projets scientifiques, l’activité d’enseignement et d’encadrement doctoral, les responsabilités pédagogiques et l’animation des formations, les responsabilités collectives, la diffusion de la connaissance, la valorisation et le conseil, le rayonnement et la participation au débat public. Les dossiers des candidats doivent ainsi être évalués sur l’ensemble de ces facettes et pas uniquement sur la dimension recherche ; la nature « équilibrée » des dossiers doit être valorisée. 

Une telle attention accordée à l’ensemble des missions de l’enseignant-chercheur permet de garantir une gestion équilibrée du corps, tout en prenant en compte l’ensemble du profil de carrière au-delà des critères d’ancienneté. L’évaluation doit en conséquence être modulée en fonction de la génération des candidats, en veillant à maintenir systématiquement le meilleur équilibre entre les différentes dimensions du métier. Les divers aspects dans l’exercice du métier d’enseignant-chercheur, durant la carrière et à chaque étape de celle-ci, doivent ainsi être pris en compte, tout particulièrement dans le cadre d’une promotion.

Avec la disparation de la qualification nationale aux fonctions de Professeur des universités, la nécessité d’appliquer de façon transparente de tels principes et critères est absolue si l’on souhaite éviter le retour de pratiques néfastes contre lesquelles les universitaires dans leur immense majorité se sont battus.

 

Valérie Mignon