COP21, prix du carbone, quoi de neuf ?

Alors que s’annonce la COP21 (Paris 2015), le Carbon Pricing Panel, sous l’égide de la Banque Mondiale, du FMI et de l’OCDE, produit un texte parallèle signé par plusieurs chefs d’Etat et dirigeants de grandes entreprises de par le monde appelant à donner un prix au carbone[1].

Ce n’est pas la voie qui a été retenue pour la COP21, qui a adopté une approche dite « Pledge and Review », après l’échec de l’approche de Kyoto fondée sur les instruments économiques. Elle consiste à laisser chaque pays annoncer l’effort qu’il consent à faire en matière de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre, c’est à-dire sa « contribution  prévue déterminée au niveau national » (INDC, Intended Nationally Determined Contribution). De nombreux économistes ont souligné que l’approche Pledge and Review a fort peu de chance de parvenir à son but, au sens où il est douteux que l’addition des engagements des pays permette d’obtenir un engagement de réduction des émissions de carbone suffisant pour maintenir la hausse de température en dessous des fatidiques 2°C. On en sait un peu plus depuis le 30 octobre, date à laquelle le secrétariat de la CCNUCC a publié un rapport[2] quantifiant  l'impact global des engagements nationaux de 146 pays en date du 1er octobre 2015 (soit 119 INDC distinctes, l’Union européenne étant considérée comme une seule Partie représentant 28 pays). Ce rapport rappelle l’extrême hétérogénéité des INDC, qui rend leur comparaison et leur addition particulièrement complexe. Il met cependant en avant le résultat suivant : les INDC feront baisser la moyenne mondiale des émissions par tête de 8% d’ici 2025 et 9% d’ici 2030. « Les INDC ont la capacité de limiter l'élévation de la température prévue à environ 2,7 degrés Celsius d'ici 2100, ce qui n'est en aucun cas suffisant, mais se situe beaucoup plus bas que les quatre, cinq degrés voire plus de réchauffement projetés par beaucoup avant les INDC », a déclaré Mme Figueres, secrétaire exécutive de la CCNUCC.

On peut toujours considérer le verre à moitié plein ou le verre à moitié vide, se réjouir des résultats obtenus ou regretter que l’on n’ait pas fait mieux. Sur un plan plus conceptuel, la méthode adoptée a-t-elle été la bonne ?

A charge contre la méthode Pledge and Review on trouve un argument bien connu : l’incitation forte que procure un tel système à se comporter en passager clandestin. Cramton et al.[3], parmi d’autres, insistent sur le fait que la coopération entre pays (comme  d’ailleurs entre individus) ne peut être obtenue sur la simple base de la bonne volonté ou de l’altruisme des participants, mais qu’un mécanisme de réciprocité est nécessaire (ce qu’ils appellent « I will if you will »). Les engagements quantitatifs peuvent-ils être la base d’un tel mécanisme ? Cramton et al. pensent qu’ils ne s’y prêtent pas aussi bien que l’engagement sur un prix. L’autre argument à charge est la forte incitation à ne pas respecter les promesses faites, en l’absence de sanctions explicitement prévues. D’ailleurs, il est probable qu’une grande partie des négociations de Paris à la fin du mois porteront sur le caractère plus ou moins contraignant des INDC. S’ils restent des promesses et ne deviennent pas des engagements, la suspicion sera forte qu’ils ne seront pas respectés.  

Les économistes sont virtuellement tous d’accord pour dire qu’il faut donner un prix au carbone. Ils s’accordent également à dire qu’ils n’ont pas été assez attentifs au contexte institutionnel particulier (il faut régler un problème de bien public global sans qu’existe une institution internationale qui ait la capacité et la légitimité de le faire) et aux réalités de la négociation internationale sur le climat. Il ne suffit pas de donner le résultat théorique de premier rang, il faut aussi prendre en compte le fait que le monde n’est pas de premier rang et que les agendas des gouvernements sont bien loin de celui du planificateur bienveillant.

Le point de dissension est, on l’a bien vu dans le débat français récent, celui de l’unicité de ce prix au niveau international. Le prix du carbone doit-il être unique ? La théorie est claire sur ce point : il ne doit être unique que si sa mise en place s’accompagne de celle de transferts internationaux permettant d’assurer l’équité[4]. Or l’exemple du Green Fund semble montrer qu’il est extrêmement difficile d’effectuer de tels transferts. Alors, faut-il renoncer au prix unique ? Peut-être, si l’on pense que c’est une solution qui n’a aucune chance d’être adoptée et qu’il vaut mieux être pragmatique et se contenter d’encourager des initiatives qui vont dans la bonne direction, aussi disparates soient-elles.

Rêvons cependant un peu, et reprenons les arguments des partisans du prix unique, sous leur forme la plus récente[5].

Tout d’abord on ne parle plus de taxe carbone mais de prix du carbone. Chaque pays donne un prix au carbone qu’il émet, par un moyen de son choix : taxe, marché interne de permis d’émissions, instruments hybrides ou même normes et régulations qui donnent un prix implicite au carbone. Ainsi le principe de subsidiarité est respecté, et la démocratie.

Ces prix doivent s’harmoniser (raisonnablement) pour que le prix mondial du carbone tende vers l’unicité. La détermination du prix mondial du carbone harmonisé est l’objet de la négociation internationale.  Martin Weitzman[6] explique que le prix est un bon instrument car il constitue un point focal dans la négociation (Schelling 1960). L’espace sur lequel on négocie est de dimension 1, ce qui est beaucoup plus simple que de négocier sur un espace de n quantités, où n est grand (précisément, n=196, soit 195 pays plus l’Union européenne). Weitzman souligne que le prix possède également une propriété de « self enforcement » que ne possède pas la quantité. Supposons en effet que chaque pays annonce le prix du carbone maximal qu’il est prêt à instaurer chez lui. Chaque pays est incité à annoncer dans la négociation un prix bas pour limiter ses coûts, mais désire d’un autre côté que le prix du carbone soit élevé pour que les autres pays fassent beaucoup d’efforts de réduction de leurs émissions, ce qui augmente ses propres bénéfices. Le problème du passager clandestin qui apparaît quand la négociation porte sur les quantités et qui est réellement le point de blocage de tout le processus est contré de façon endogène quand on négocie sur les prix. Les pays votent ensuite à la majorité sur le prix du carbone qui sera finalement adopté.

Il est indispensable d’instaurer parallèlement un système de transferts entre les pays pour motif d’équité. Weitzman indique que si le prix du carbone est obtenu dans un pays par une taxe, les recettes de la taxe doivent être conservées dans le pays et utilisées de façon efficace (pour tenter d’obtenir un double dividende par exemple), et que ceci limite l’ampleur des transferts nécessaires. Un Green Fund est tout de même indispensable. Pour éviter de simplement reporter le problème de la négociation sur n caps en une négociation sur n niveaux de transferts il est souhaitable d’adopter une formule simple. Cramton et al. proposent une formule du type bonus-malus[7] : les transferts seraient fondés sur l’écart entre les émissions par tête du pays et la moyenne des émissions par tête mondiales, multiplié par un coefficient de générosité du système. Ils proposent de négocier d’abord sur le coefficient de générosité, puis sur le prix.

Même s’il est trop ambitieux et irréaliste de compter qu’un jour on tendra vers un prix unique du carbone, on peut penser que le mécanisme précédent, ou un mécanisme proche, pourra s’appliquer à un sous-ensemble de pays. William Nordhaus[8]  propose ainsi la formation de clubs climatiques. Le point central est que les pays qui participent au club climatique et mettent en place en son sein un prix unique du carbone doivent pouvoir instaurer une taxe d’ajustement aux frontières sur les produits en provenance des pays non participants, afin d’éviter les fuites de carbone et les problèmes de compétitivité. Cette taxe peut être considérée comme une sanction commerciale envers les pays qui pratiquement subventionnent le carbone en refusant de lui donner un prix[9]. Il n’est pas forcément nécessaire de l’asseoir sur le contenu en carbone des produits importés, ce qui pose de grands problèmes pratiques ; elle peut simplement consister en un (faible) droit de douane uniforme sur les importations des pays non participants (W. Nordhaus). De nouveau, est-ce réaliste ? L’OMC autorisera-t-elle un jour la mise en place de taxes d’ajustement aux frontières ? Ceci est incertain, mais en matière de lutte contre le changement climatique tout est difficile et incertain.

 

[3] P. Cramton, A. Ockenfels et S. Stoft, « An International Carbon-Price Commitment Promotes Cooperation », Economics of Energy and Environmental Policy, septembre 2015.

[4] Voir par exemple A. d’Autume, K. Schubert et C. Withagen, « Should the carbon price be the same in all countries?  » Journal of Public Economic Theory, à paraître. 

[5] Voir le numéro de septembre 2015 de la revue Economics of Energy and Environmental Policy contenant les actes d’un symposium sur les négociations climatiques. Voir également http://carbon-price.com/

[6] M. Weitzman, « Internalizing the Climate Externality: Can a Uniform Price Commitment Help? » Economics of Energy and Environmental Policy, septembre 2015.

[7] On peut également citer le système proposé par Christian de Perthuis et Pierre-André Jouvet (« Les voies d’un accord climatique ambitieux en 2015 », Opinions et Débats, Labex Louis Bachelier, février 2015).

[8] W. Nordhaus, « Climate Clubs: Overcoming Free-Riding in International Climate Policy », American Economic Review, 105(4): 1339-70, 2015.

[9] J. E. Stiglitz, « Overcoming the Copenhagen Failure with Flexible Commitments », Economics of Energy and Environmental Policy, septembre 2015.