Comment le confinement lié au COVID-19 affecte indirectement l’état de santé de la population

Le confinement, opéré en France depuis le mardi 17 mars, génère une modification profonde et inédite du marché du travail en France portant simultanément sur la marge extensive (le fait de participer ou non au marché du travail) et la marge intensive (le nombre d’heures de travail et, plus généralement, les conditions de travail et d’emploi effectives). Parce qu’il est contraint (chômage partiel, télétravail), brutal et également hétérogène (les activités de production étant classées selon qu’elles sont jugées essentielles ou non essentielles), le confinement réduit significativement les effets positifs du travail sur la santé et pourrait renforcer certains des effets pathogènes.

Les effets positifs du confinement sur la santé occultent dangereusement ses effets négatifs. Les conséquences néfastes (directes et indirectes) du confinement sur la santé renvoient aux déterminants sociaux dont le rôle est tout aussi important que celui du soin sur la santé[1]. Si les effets négatifs directs du confinement sur la santé semblent identifiés (perte de bien-être, isolement social, dégradation de la santé mentale liée à l’anxiété, la dépression et la charge mentale spécifique des parents contraints de mettre en place le suivi de l’école à la maison, aggravation des comportements à risques, surcharge pondérale), les effets négatifs indirects ne peuvent être ni ignorés, ni sous-estimés. C’est l’objet de cette note qui s’appuie notamment sur des revues de littérature récentes sur les liens entre statut d’occupation et santé[2]

1. L’inactivité partielle de plus de 10 millions de français : un risque majeur pour la santé

Le confinement lié au COVID expose tout particulièrement au risque de précarité permanente voire d’exclusion sur le marché du travail des salariés (ceux qui ne travaillent pas dans les secteurs jugés essentiels, qui relèvent du secteur privé et qui ne sont pas employées dans des entreprises qui pourraient faire l’objet d’une nationalisation complète ou partielle) et des indépendants. Les conséquences en termes de pertes d’emploi potentielles seront plus sévères dans les secteurs industriels les plus sinistrés. D’après l’Insee (note du 9 avril 2020), la baisse de la demande la plus prononcée est observée dans les activités de la fabrication de matériels de transport (-94%), de l’hébergement et de la restauration (90%), de la construction (-88%) et de la cokéfaction et du raffinage (-80%). C’est donc souvent dans ces secteurs que l’on retrouve les bénéficiaires des demandes d’activité partielle pour motif de COVID-19 dont la population totale représente, au 21 avril 2020, 10,2 millions de salariés (soit plus d’un tiers des salariés du secteur privé et 4,3 milliards d’heures chômées demandées). Près d’un quart des demandes d’activité partielle concernent des établissements du secteur du commerce (Dares, note du 21 avril 2020). Ce chiffre est amené à grossir lorsque les personnes, actuellement en arrêt maladie pour garde d'enfants et vulnérables, seront en situation de chômage partiel au 1er mai.

La chute du PIB, estimée à 3% annuel par mois de confinement, fait peser un risque très significatif sur la santé des populations en raison de ses conséquences sur le marché du travail. Le projet de loi de finances rectificative 2020 table sur une baisse du PIB de 8% en 2020 (fondée sur une durée totale de confinement de huit semaines, à comportements inchangés et sans seconde vague de contamination).

A court terme, l’effet de l’arrêt partiel de l’activité économique sur le chômage commence à apparaître (note de la Dares du 21 avril). Les demandes d’inscription de demandeurs d’emploi, observées entre le 15 mars et le 11 avril, ont augmenté de 13 % par rapport à la même période en 2019. Parallèlement, le nombre d’offres d’emploi en ligne a baissé de près de 40 % (sur 13 sites suivis par la Dares) entre le début du confinement et début avril. 569 « petits » licenciements collectifs (licenciement de moins de 10 salariés) sont également dénombrés depuis début mars.

Les effets du chômage et de l’insécurité professionnelle sur la santé sont bien documentés dans la littérature économique. De façon générale, la perte d’emploi est associée à une dégradation du bien-être et de la santé à court et long terme. Elle se traduit par la diminution des revenus, la perte de l’assurance santé (tout particulièrement dans les pays où la couverture publique est faible ou liée directement à l’emploi occupé comme aux USA) et les coûts psychologiques du chômage. La persistance du chômage et de formes récurrentes de non-emploi ont un effet néfaste sur la santé, entraînant par exemple une surcharge pondérale ou la consommation d’alcool[3]. En début de vie professionnelle, le chômage et a fortiori l’inactivité peuvent favoriser l’apparition ultérieure de symptômes dépressifs[4]. En outre, la perte d’emploi augmente la mortalité[5]. En définitive, de nombreuses études concluent à l’effet négatif du chômage sur la santé[6]. En France, la survenue d’épisodes de précarité au cours de la vie est corrélée à des problèmes de santé survenant deux fois plus fréquemment[7]. En outre, les hommes qui ont connu plus de six mois de chômage entre 2006 et 2010 voient le risque de dépression majeure ou d’anxiété généralisée s’accroître par rapport à ceux qui sont restés en emploi durant toute la période[8].

2. La fonction protectrice de l’emploi est dépréciée

Observons à présent les effets attendus du confinement sur la santé au sein de la population active occupée. De manière générale, être en emploi protège le capital santé. Cette relation positive transite par un effet direct du revenu sur la santé mais également par d’autres canaux plus indirects tels que l’accès à l’assurance, les comportements à risque, l’accès aux soins, des conditions matérielles de vie favorables ou les interactions sociales qu’il produit. Nous questionnons ici en particulier les effets directs du revenu et indirects de l’assurance sur la santé des personnes en emploi, dans un contexte de confinement.

2.1. Un effet revenu, conditionné à la politique de soutien du gouvernement

Sans surprise, revenu et état de santé sont positivement corrélés. Le risque de déclarer un mauvais état de santé perçu ou de souffrir de limitations dans leurs activités quotidiennes est deux fois plus élevé chez les 20 % d’individus les plus pauvres que chez les 20 % d’individus les plus riches[9]. Une relation causale est clairement identifiée sur la santé mentale, la santé perçue et plusieurs maladies chroniques[10].

Afin de réduire les chocs d’offre et de demande sur le marché des biens et services et éviter des faillites d’entreprises massives accompagnées d’un chômage de même ampleur, le gouvernement met en place un plan de relance massif de plus de 110 milliards d’euros. Dans le cadre du dispositif de l’activité partielle (ou chômage partiel), une indemnisation égale à 70 % du salaire brut (environ 84 % du net) est versée pour compenser la perte de salaire. Celle-ci est remboursée intégralement par l’État/Unédic, jusqu’à un plafond de 70 % de 4,5 Smic[11]. Une rémunération à hauteur de 90% est assurée pour tous les salariés placés en arrêt maladie pour garde d'enfants (2,3 millions d’arrêts enregistrés) ou santé fragile. Ensuite, un soutien renforcé aux entreprises en difficulté est apporté (le fonds de solidarité augmente de 5,5 milliards d'euros[12]).

Tant que l’Etat peut intervenir pour éviter une dégradation trop forte des revenus du travail, il protège, au moins partiellement, cette relation vertueuse revenu-santé.

Cependant le pouvoir d’achat est d’ores et déjà réduit. Même si une partie du revenu est placée sous la forme d’une épargne conséquente (55 milliards d’euros d’après l’OFCE), le rebonds de consommation attendu ne sera vraisemblablement pas de la même ampleur que la chute observée. En effet, il est probable que des actifs financiers perdent de la valeur faisant fondre le patrimoine des ménages. Les agents économiques renforceront alors une épargne de précaution sur des produits moins risqués et préfèreront finalement, en partie, thésauriser plutôt que de consommer, sauf à supposer des mécanismes fiscaux pour les inciter à réinjecter ces sommes dans l’économie.

La politique de relance économique conduira à un accroissement significatif du déficit public (il va au moins doubler en 2020 par rapport à 2019, et atteindre au moins 9% du PIB) et de la dette publique qui, à terme, se répercutera inéluctablement sur le revenu disponible des ménages et donc sur leur santé. La mise en place de ce plan de relance ne peut être que temporaire, y compris dans une optique de santé publique stricto sensu.

2.2. L’effet de la complémentaire sur la santé atténué

L’emploi permet également de bénéficier plus facilement d’une assurance santé (assurance de base ou assurance complémentaire), tout particulièrement depuis la généralisation de la complémentaire d’entreprise. L’effet positif de l’assurance sur la santé suppose néanmoins une double validation : (i) l’assurance favorise la consommation de soins qui (ii) contribue effectivement à l’amélioration de la santé. L’assurance conduit en effet à surconsommer du fait d’une solvabilisation de la demande de soins sous-jacente et dans une moindre mesure par un phénomène d’aléa moral ex post, notamment chez les moins favorisés[13]. L’expérience randomisée de l’Oregon a montré un effet marqué de l’amélioration de la couverture chez les plus modestes sur leur accès aux soins et leur santé[14].

Le confinement fragilise ces mécanismes à l’origine de l’effet positif du revenu sur la santé. En période de baisse de l’activité économique, le temps consacré à l’investissement en capital santé (soins, activité physique, alimentation équilibrée) s’accroît. Il est également possible de consacrer plus d’attention aux personnes âgées, favorisant une réduction de la mortalité chez les retraités. Le confinement empêche cette réallocation du temps disponible. A court terme, une baisse du recours aux soins de ville est ainsi observée pour les patients (hors COVID). L’Insee relève, en effet, une baisse de 39% de la consommation de services non marchands attribuable en partie à une baisse de la consommation de soins de ville. A ce stade, il n’est pas possible d’analyser l’homogénéité de cette cinétique au sein de la population (selon le lieu d’habitation, le niveau socio-économique, le niveau de garantie de la complémentaire ou le statut d’occupation). On peut supposer, mais cette hypothèse reste à tester, qu’à niveau de garantie de complémentaire similaire, les personnes en emploi (confinées dans l’obligation de travailler à domicile ou autorisées à se rendre sur leur lieu de travail) pourraient même moins accéder aux soins que les personnes sans emploi en raison d’une forte contrainte temporelle. Il est probable que des effets différenciés du confinement (selon la région notamment) se combinent aux déterminants classiques de non-recours notamment les barrières géographiques liées à une faible densité médicale. Le report de l’accès aux soins laisse entrevoir non seulement une vague de surconsommation de soins de ville (pour les patients aisés) voire de services hospitaliers (pour les populations les plus défavorisées), notamment de service de soins aigus, mais également de surmortalité des patients hors-COVID. Le risque sur la morbidité est également avéré, le renoncement aux soins conduisant à accroître la dépréciation du capital santé[15]. Les téléconsultations, qui sont prises en charge à 100 % par l’Assurance Maladie Obligatoire, explosent littéralement et peuvent compenser - très partiellement - ce mouvement. Elles constituent néanmoins un puissant moteur d’inégalités de traitement des patients en raison d’une fracture sociale numérique et de « l’injonction » de travailler ou non. Cette situation renforce ainsi les inégalités sociales d’accès aux soins au détriment de salariés peu qualifiés et travaillant dans des secteurs jugés essentiels.

En outre si l’effet thérapeutique des soins est naturellement attesté ; les phénomènes de congestion des services de soins (à l’hôpital en particulier), de fatigue extrême des personnels de soins (cf. partie 3.2.) et d’automédication des patients (avec un risque d’iatrogénie médicamenteuse) risquent d’accroître le risque iatrogène global. Par conséquent, le rôle des déterminants sociaux de la santé est sans doute accru en période de confinement.  

3. Les effets pathogènes de l’emploi sont renforcés

Les effets pathogènes du travail sont sensiblement renforcés d’une part pour les personnes qui travaillent sur leur lieu de travail dans des secteurs essentiels, d’autre part, pour celles qui, confinées et travaillant à domicile, sont confrontées à de nouvelles formes de contraintes techniques et psychosociales.

De manière générale, on sait que l’exposition des travailleurs français aux conditions de travail pénibles reste forte en dépit de l’émergence du secteur tertiaire. Depuis une vingtaine d’années en France, le travail se densifie, les rythmes s’accélèrent, l’autonomie se réduit[16]. Concernant les contraintes organisationnelles et relationnelles, l’intensification des expositions est manifeste. Entre 1994 et 2010, la proportion de salariés subissant au moins trois contraintes de rythme est passée de 28 % à 36 %. Parmi les évolutions les plus spectaculaires, la proportion de salariés confrontés à un contrôle ou à un suivi informatisé a doublé (de 15 % à 30 %) ; le fait d’avoir un rythme de travail obligeant à une réponse immédiate – imposée par une demande extérieure – a crû de 50 % à 57 % ; ou encore la contrainte de « devoir fréquemment interrompre une tâche pour en faire une autre non prévue » a crû de 46 % à 56 %.

De façon triviale, avoir un travail exigeant physiquement influence l’état de santé déclaré[17]. Les conditions de travail pénibles influencent à la fois la santé auto-déclarée et le niveau de bien-être[18]. A contrario, la satisfaction au travail favorise la santé, qu’elle soit mesurée par des indicateurs objectifs ou subjectifs[19]. Tout comme la charge physique, l’environnement de travail est un facteur déterminant de l’état de santé des travailleurs. L’exposition antérieure à des conditions de travail difficiles peuvent ainsi expliquer des différences d’état de santé entre salariés[20].

3.1. Une double menace pour les salariés autorisés à travailler : risques psychosociaux et présentéisme

De prime abord, certaines professions habituellement peu visibles (voire socialement dépréciées) peuvent se trouver renforcées psychologiquement (estime de soi, utilité sociale) car jugées indispensables pour assurer un fonctionnement minimal de l’économie française (éboueurs, postiers, livreurs, agriculteurs, employés de la grande distribution,...).

Cependant les cadences imposées, la peur d’être contaminée et la privation de toute latitude décisionnelle confrontent les personnes actuellement autorisées à travailler à une augmentation des risques psychosociaux au travail. Le relèvement temporaire des seuils de durée maximale de travail hebdomadaire et sur 12 semaines glissantes peut avoir, de surcroît, un effet négatif sur la santé.

Une partie de la littérature s’est attachée à identifier les facteurs psychosociaux à l’origine d’une dégradation de l’état de santé[21]. Ces facteurs, qui favorisent l’émergence d’un mal-être psychologique – comme le sentiment de domination hiérarchique, de perte d’autonomie, etc. –, sont bien souvent liés à la position professionnelle. Les salariés autorisés à travailler sont surreprésentés parmi les employés tout particulièrement sujets à ce type d’expositions professionnelles.

Les chaînes causales sont bien identifiées. Les travailleurs qui subissent une forte pression psychologique tout en disposant d’une faible latitude décisionnelle (job strain) sont nettement plus exposés que les autres aux risques d’accidents cardiovasculaires, de troubles musculosquelettiques, de dépression[22] et de maladie coronarienne[23]. Le stress au travail, le degré élevé d’exigence, la faible latitude de décision, l’absence de justice et de soutien social sont liés à un plus mauvais état de santé[24]. Spécifiquement, une corrélation entre l’exposition à divers facteurs de stress professionnel, tels qu’un faible soutien social et le manque de fierté au travail, et un plus mauvais état de santé mental est mesurée[25]. En France, le rôle particulièrement néfaste des risques psychosociaux sur toutes les dimensions de la santé, physique et mentale, est attesté[26]. Par ailleurs, l’effet de long terme des risques psychosociaux sur la santé mentale à l’âge de la retraite est absolument majeur. Les risques de déclarer des troubles anxieux, des dépressions, des consommations d’anxiolytiques, de somnifères et d’antidépresseurs sont accrus respectivement de 90 %, 79 %, 20 %, 39 % et 49 %, toutes choses égales par ailleurs. Ces derniers résultats sont amplifiés dans la population féminine. Ce résultat témoigne du caractère pénalisant de long terme des conditions de travail pénibles, notamment les risques psychosociaux, sur la santé des retraités avec des effets prononcés sur la dépense de soins en particulier en médicaments[27].

Le caractère subi de ces conditions de travail et d’emploi renforce encore davantage les effets négatifs sur la santé. En effet, l’adéquation entre les préférences individuelles, les conditions de travail et la qualité du travail conditionnent la nature de l’effet de l’emploi sur la santé[28]. Il est avéré que la surcharge de travail non désirée détériore fortement la santé physique et mentale des personnes en emploi[29].

Enfin pour tous les salariés, du fait des conséquences de cette crise sur le chômage, la peur de perdre son emploi va se renforcer entraînant davantage de situations de présentéisme à l’origine d’une dépréciation du capital santé. Au niveau macroéconomique, on observe une relation négative entre le taux de chômage de l’économie (la peur de perdre son emploi est corrélée au niveau du chômage) et les arrêts maladie courts, conformément aux enseignements du modèle de salaire d’efficience[30]. Par ailleurs, Ferrie et al. ont souligné les conséquences négatives de l’insécurité professionnelle sur la santé mentale et dans de nombreuses pathologies chroniques durant la période Thatcher en Grande-Bretagne[31]. Plus récemment, Caroli et Godard confirment l’existence d’un effet causal de la peur de perdre son emploi sur un certain nombre de pathologies[32].

3.2. Le risque spécifique en milieu hospitalier

D’après les données Conditions de travail - Risques psychosociaux 2016 de la Dares, avant cette crise pandémique majeure, les personnels soignants étaient déjà soumis à des contraintes physiques et psychosociales sensiblement plus fortes que dans la FPE (Fonction publique d’Etat), la FPT (Fonction publique territoriale) ou le secteur privé. Ainsi 56% des agents de la FPH (Fonction publique hospitalière) déclarent souffrir d’au moins trois contraintes physiques intenses[33]. Ils ne sont que 19% dans la FPE, 32% dans la FPT et 34% dans le secteur privé. Ils souffrent également de la plus faible autonomie au travail. Les conflits de valeur y sont plus répandus. 36% déclarent devoir faire trop vite une opération qui demanderait davantage de soin contre 26% des salariés du secteur privé. Les agents de la FPH sont, par ailleurs, plus souvent exposés aux contraintes de rythme de travail[34] : 43% déclarent subir au moins trois contraintes de rythme contre 37% des salariés du privé, 25% des agents de la FPT et 21 % des agents de la FPE.

Ces contraintes, déjà prononcées, risquent de sensiblement s’accentuer. A ce titre, l’octroi d’une prime exceptionnelle de 1.500 euros aux personnels soignants dans les départements les plus touchés par l'épidémie de COVID-19 et à ceux des services ayant accueilli des patients dans les départements les moins touchés (les autres personnels de santé recevront une prime de 500 euros) et la majoration de 50% des heures supplémentaires peut permettre, de manière très partielle naturellement, d’atténuer les effets néfastes de ces conditions de travail exceptionnelles sur la santé des soignants. On sait en effet combien le rôle de la reconnaissance au travail est important[35]. De Jonge et al. (2000), notamment, trouvent des effets de l’exigence du travail ainsi que du déséquilibre entre efforts et reconnaissance sur le bien-être des travailleurs[36]. Néanmoins seul un choc permanent sur le niveau de richesse semble de nature à apporter une reconnaissance bénéfique pour la santé notamment mentale des personnels soignants.

Enfin, l’absentéisme lié à une extrême fatigue voire à des états de stress post-traumatique risque d’augmenter considérablement sachant que les agents de la FPH sont déjà sujets à des accidents du travail plus fréquents. En 2016, 13 % des agents de la FPH (tout particulièrement les aides-soignants) déclarent au moins un accident de travail dans l’année contre 8% dans la FPE, 10% dans la FPT et le secteur privé.

3.3. Nouveaux risques pour la santé des salariés confinés en télétravail

Les liens entre télétravail et conditions de travail ne sont pas triviaux. Le télétravail et, de manière générale, l’usage des technologies de l’information et de la communication sont corrélés à une plus forte autonomie au travail, à un sentiment de satisfaction ou à une relation de confiance entre l’entreprise et le salarié. A contrario, le télétravail peut entrainer une charge mentale importante et des problèmes de conciliation sphère professionnelle/sphère privée.

Les situations de télétravail subies et soudaines, en situation de confinement, c’est-à-dire en présence potentiellement de l’ensemble du ménage génèrent de nombreuses difficultés et de potentielles atteintes à la santé des personnes. Il est possible que les effets négatifs du télétravail sur les conditions de travail l’emportent sur les effets positifs et affectent à moyen terme la santé psychique des travailleurs. Les effets potentiels sur la santé dépendront de l’intensité mais également du temps d’exposition (donc du confinement).

Il est à attendre que des chutes de productivité horaire vont être observées du fait de problèmes techniques liés à des contraintes de matériel, de surcharge des plateformes de travail à distance et d’un temps incompressible d’apprentissage de nouvelles formes de travail à distance pour les nombreux novices. Ces contraintes vont provoquer des situations renforcées de stress au travail.

Rappelons qu’en 2017, seuls 3 % des salariés télétravaillent au moins un jour par semaine, les cadres représentant 61 % de cette population - alors qu’ils représentent seulement 17% des salariés (Dares, 2019). Par ailleurs cette pratique est très occasionnelle (50 % ne travaillent qu’une journée par semaine en télétravail). Fin mars 2020, un quart des salariés français travaille désormais en télétravail à temps complet.

Conclusion : un bilan sur la mortalité qui reste à consolider

Finalement, d’après l’Insee, entre le 1er mars et le 6 avril 2020, l’Île-de-France enregistre la plus forte croissance du nombre de décès totaux par rapport à la même période de 2019 (+ 72 %), suivie du Grand Est (+ 55 %). Cette surmortalité instantanée est imputable au COVID alors même qu’une sous-mortalité est observée en particulier liée à l’accidentologie (en baisse de 40 % en mars 2020 par rapport à mars 2019). Si le confinement a clairement réduit la circulation du virus (Santé Publique France, 2020), un bilan complet devra être réalisé tenant compte des effets directs et indirects de la pandémie et des mesures de confinement sur la mortalité globale de la population à moyen et long termes.

 

[1] R. G. Evans et G.-L. Stoddart, « Producing Health, Consuming Health Care », dans R. G. Evans, M.-L Barer et T.-R. Marmor (eds), Why Are Some People Healthy and Others Not ? The Determinants of Health of Populations, New York (N. Y.), Aldine De Gruyter, 1994.

[2] Barnay T. (2020), "Interactions of Work and Health: An Economic Perspective". In: Theorell T. (eds) Handbook of Socioeconomic Determinants of Occupational Health. Handbook Series in Occupational Health Sciences. Springer, Cham ; Barnay T., Jusot F. (2018), "Travail et Santé", Presses de Sciences Po, Collection Sécuriser l’Emploi ; Barnay T. (2016) “Health, Work and Working Conditions: A Review of the European Economic Literature”, European Journal of Health Economics, n°17(6), pp 693-709.

[3] D. Partha, W. Gallo, Ayyagari P. et al., « The Effect of Job Loss on Overweight and Drinking », Journal of Health Economics, 30 (2), 2011.

[4] K. Mossakowski, « The Influence of Past Unemployment Duration on Symptoms of Depression among Young Women and Men in the United States », American Journal of Public Health, 99 (10), 2009.

[5] D. Sullivan et T. von Wachter, « Job Displacement and Mortality. An Analysis Using Administrative Data », The Quarterly Journal of Economics, 124 ( 3), 2009.

[6] P. Böckerman et P. Ilmakunnas, “Unemployment and self-assessed health: evidence from panel data”. Health Economics, 18(2), 161–179 (2009) ; M.Eliason et D.Storrie, “Does job loss shorten life?” Journal of Human Resources, Univ. Wis. Press 44(2), 277–302 (2009).

[7] E. Cambois et F. Jusot, « Contribution of Lifelong Adverse Experiences to Social Health Inequalities. Findings from a Population Survey in France », European Journal of Public Health, 21 (5), 2011.

[8] S. Blasco et T. Brodaty, « Chômage et santé mentale en France », Économie et statistique, 486 (1), 2016.

[9] N. Célant, S. Guillaume et T. Rochereau, « Enquête sur la santé et la protection sociale 2012 », Les rapports de l’IRDES, 556, juin 2014.

[10] J. Adda, T. Chandola et M. Marmot, « Socioeconomic Status and Health. Causality and Pathways », Journal of Econometrics, 112, 2003 ; P. Adams, M. Hurd, D. Mc Fadden, A. Merril et Ribeiro T., « Healthy, Wealthy, and Wise ? Tests for Direct Causal Paths between Health and Socioeconomic Status », Journal of Econometrics, 112, 1, 2003 ; P.-C. Michaud et A. Van Soest, « Health and Wealth of Elderly Couples. Causality Tests Using Dynamic Panel Data Models », Journal of Health Economics, 27 (5), septembre 2008.

[11] Il s’agit d’un rehaussement à 24 Md€ des dépenses prévues.

[12] Ce programme initialement ciblé sur les très petites entreprises, est élargi pour prendre en compte les pertes de chiffres d’affaire estimées à 50 % par rapport à 2019

[13] G. Manning Willard, J. P. Newhouse, N. Duan N., E. B. Keeler, A. Leibowitz et M. Susan Marquis, « Health Insurance and the Demand for Medical Care. Evidence from a Randomized Experiment », American Economic Review, 77 (3), 1987.

[14] A. Finkelstein, S. Taubman, B. Wright, M. Bernstein, J. Gruber, J.-P Newhouse, H. Allen, K. Baicker et The Oregon Health Study Group, « The Oregon Health Insurance Experiment. Evidence from the First Year », Quaterly Journal of Economics, 127 (3), 2012.

[15] P. Dourgnon P., F. Jusot et R. Fantin, « Payer nuit gravement à la santé : une étude de l’impact du renoncement financier aux soins sur l’état de santé », Économie publique, 28-29, 2012.

[16] M. Gollac et S. Volkoff, « Citius, altius, fortius, l’intensification du travail », Actes de la recherche en sciences sociales, 114, 1996 ; P. Askenazy, Les Désordres du travail, enquête sur le nouveau productivisme, Paris, Seuil, coll. « La République des idées », 2004.

[17] A. Case et A. Deaton, « Broken Down by Work and Sex. How Our Health Declines », National Bureau of Economic Research Working Paper, 9821, 2003.

[18] S. Robone, A.-M. Jones et N. Rice, « Contractual Conditions, Working Conditions and their Impact on Health and Well-being », The European Journal of Health Economics,12, 2011.

[19] J.-A.-V. Fischer et A. Sousa-Poza, « Does Job Satisfaction Improve the Health of Workers ? New Evidence Using Panel Data and Objective Measures of Health », Health Economics, 18, 2009.

[20] J. Strauss et D. Thomas, « Health, Nutrition and Economic Development », Journal of Economic Literature, 36, 1998.

[21] P. Askenazy et E. Caroli, « Innovative Work Practices, Information Technologies, and Working Conditions. Evidence for France. Working Conditions in France », Industrial Relations. A Journal of Economy and Society, 49, 2010 ; E. Cottini et C. Lucifora, « Mental Health and Working Conditions in Europe », ILR Review Working Paper, 4, 2013 ; H. Kuper et M. Marmot, « Job Strain, Job Demands, Decision Latitude, and Risk of Coronary Heart Disease within the Whitehall II Study », Journal of Epidemiology and Community Health, 57, 2003 ; M. Laaksonen, O. Rahkonen, P. Martikainen et E. Lahelma, « Associations of Psychosocial Working Conditions with Self-rated General Health and Mental Health among Municipal Employees », International Archives of Occupational and Environmental Health, 79, 2006.

[22] M. Gollac et M. Bodier, « Mesurer les facteurs psychosociaux de risque au travail pour les maîtriser », dans Rapport du Collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail, faisant suite à la demande du ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé, 2011.

[23] H. Kuper et M. Marmot, « Job Strain, Job Demands, Decision Latitude, and Risk of Coronary Heart Disease within the Whitehall II study », art. cité.

[24] M. Laaksonen, O. Rahkonen, P. Martikainen et E. Lahelma, « Associations of Psychosocial Working Conditions… », art. cité.

[25] C. Bildt et H. Michélsen, « Gender Differences in the Effects from Working Conditions on Mental Health. A 4-year Follow-up », International Archives of Occupational and Environmental Health, 75, 2002.

[26] Defebvre, É., 2017. Harder, better, faster … Yet stronger? Working conditions and self-declaration of chronic diseases. Health Economics. https://doi.org/10.1002/hec.3619

[27] Barnay T, Defebvre E (2018), "L’influence des conditions de travail passées sur la santé auto-déclarée des retraités", Économie et Prévision, 2018/1 (n° 213), pp. 61-84.

[28] T. Barnay, « Health, Work and Working Conditions. A Review of the European Economic Literature », European Journal of Health Economics, 17 (6), 2016, p. 693-709 ; A. Bassanini et E. Caroli, « Is work bad for health ? The Role of Constraint vs Choice », Annals of Economics and Statistics, 119-120, 2015.

[29] D. Bell, S. Otterbach et A. Sousa-Poza , « Work Hours Constraints and Health », Annales d’économie et de statistique, 105-106, 2012, p. 35-54.

[30] Lê F. et Raynaud D. (2007), « Les indemnités journalières », Etudes et Résultats, n°592 (Drees).

[31] J. Ferrie, « Is Job Insecurity Harmful to Health? », Journal of the Royal Society of Medicine, 94, 2001 ;
J. Ferrie, M. Shipley, K. Newman K., S. Stansfeld, M. Marmot et al., « Self-reported Job Insecurity and Health in the Whitehall II Study. Potential Explanations of the Relationship », Social Science and Medicine, 60, 2005.

[32] E. Caroli et M. Godard, « Does Job Insecurity Deteriorate Health? », Health Economics, 25 (2), 2016.

[33] Parmi : rester longtemps debout, rester longtemps dans une posture pénible ou fatigante, effectuer des déplacements à pied longs ou fréquents, devoir porter ou déplacer des charges lourdes, subir des secousses ou des vibrations.

[34] Parmi : le déplacement automatique d’un produit ou d’une pièce, la cadence automatique d’une machine, d’autres contraintes techniques, la dépendance immédiate vis-à-vis du travail d’un ou plusieurs collègues, des normes de production ou des délais à respecter en 1 h au plus ou 1 jour au plus, une demande extérieure obligeant à une réponse immédiate, les contrôles ou surveillances permanents exercés par la hiérarchie.

[35] J. Siegrist, « Adverse Health Effects of High-effort/Low-reward Conditions », Journal of Occupational Health Psychology, 1, 1996.

[36] J. De Jonge, H. Bosma, R. Peter et J. Siegrist, « Job Strain, Effort-reward Imbalance and Employee Well-being. A Large-scale Cross-sectional Study », Social Science and Medicine, 50, 2000.