Quels ont été les effets de la pandémie sur l'abandon des études à l'université ?

Ce billet présente les résultats d’une étude récente visant à identifier l'impact de la pandémie de COVID-19 sur la réinscription des étudiants à l'université en France. L’étude montre que la pandémie a eu un impact considérable sur le taux d'abandon des étudiants universitaires en France, avec des variations en fonction des caractéristiques socio-démographiques, des domaines d'études et des contextes institutionnels.

Ce billet présente les résultats d'une étude récente visant à identifier l'impact de la pandémie de COVID-19 sur la réinscription des étudiants à l'université en France[1]. Notre contribution s'inscrit dans une volonté de développer une meilleure compréhension de la manière dont les chocs externes peuvent influencer les décisions éducatives, motivée par le fait que la pandémie est souvent présentée comme exacerbant les inégalités existantes[2]. De récentes études estiment une baisse de 35% des performances d'apprentissage au cours d'une année scolaire due à la pandémie et à la fermeture des écoles, pertes s'avérant être concentrées au sein des ménages défavorisés[3]. L'un des principaux enjeux est alors de dépasser la simple mesure de la perte d'apprentissage en identifiant de possible effets de persistance, représentés par les changements d'orientation. Une récente étude menée en Suède[4] met en avant une diminution de l'attrait des formations professionnelles dans les domaines fortement touchés par la pandémie, tels que l'hôtellerie et la restauration. Dans notre étude, nous testons l'hypothèse selon laquelle les étudiants ont été affectés par la pandémie au point de se désengager de l'université.

L'utilisation de données administratives

Nous sommes en mesure de conduire notre analyse sur l'ensemble des inscriptions à l'université en nous appuyant sur les données exhaustives des étudiants inscrits dans les établissements publics d'enseignement supérieur sous tutelle du Ministère en charge de l'enseignement supérieur de 2012-13 à 2020-21. Nous nous concentrons sur trois dimensions principales : le taux de réinscription, le taux d'obtention du diplôme (en licence et master), et la présence aux examens. 

Une baisse de la probabilité de réinscription et d'obtention du diplôme d'ampleurs inédites

En utilisant un modèle logit avec des effets fixes au niveau des universités, nos résultats initiaux mettent en évidence une baisse du taux de réinscription et d'obtention du diplôme pour la cohorte exposée à la pandémie. Après avoir contrôlé des caractéristiques institutionnelles et individuelles, les étudiants exposés à la pandémie font face à une baisse de l'ordre de 10,6% dans la probabilité de se réinscrire à l'université, en comparaison à l'année précédente. La magnitude de l'effet est équivalente à la baisse cumulative observée au cours de la décennie précédente. Le taux de présence aux examens ne semble pas avoir fluctué, suggérant que les précédents résultats ne sont pas expliqués par une hausse de l'absentéisme. Ces résultats sont d'une importance cruciale dans la mesure où le décrochage à l'université se traduit par des perspectives amoindries sur le marché du travail.

 

Graphique : réinscription, participation et réussite aux examens

Lecture : le graphique présente les moyennes annuelles des variables d’intérêt. Chaque point représente la valeur moyenne pour l’année calendaire correspondante. « Enrollement » prend la valeur 1 lorsqu'un individu est observé au cours de l'année universitaire suivante ; « Pre-exam » prend la valeur 1 si l'individu assiste à au moins un examen terminal « Obt. Degree" indique si l'individu a obtenu son diplôme à la fin de l'année universitaire.

Nos effets varient en fonction des caractéristiques socio-démographiques des étudiants et de leur niveau d'études. Les étudiants de premier et deuxième cycle universitaire sont les plus touchés, avec une diminution de respectivement 20,9% et 17,3% par rapport à l'année précédente. Les étudiants inscrits dans les domaines STEM (Science, technology, engineering, mathematics) montrent également une réduction plus prononcée des taux de réinscription. Nous observons relativement peu de disparités dans les différentes dimensions d'intérêt par rapport aux caractéristiques individuelles, si ce n'est que les hommes semblent avoir davantage été impactés par la pandémie.

Une expérience naturelle permise par la carte du déconfinement

Nous utilisons ensuite l'expérience naturelle ayant eu lieu en France à la fin du premier confinement. Les régions ont été sujettes à des restrictions sanitaires de différentes intensités. Les zones à l'est ont été classées en rouge et ont connu un déconfinement accompagné de certaines restrictions pour une courte période de temps. Nous voulons tester l'hypothèse selon laquelle l'intensité des politiques d'endiguement du virus influencent les choix des étudiants à l'université. 

En utilisant une approche en doubles différences, nous ne trouvons pas de preuves solides indiquant une relation significative entre l'intensité des mesures de confinement et les comportements de réinscription des étudiants. Cette absence de résultats peut s'expliquer par le fait que l'intensité du premier confinement a été suffisamment forte pour amener les étudiants décrocheurs à ne pas se réinscrire, sans que ces mesures additionnelles aient un effet.

Des résultats partiellement expliqués par les opportunités sur le marché du travail

Pour expliquer nos résultats, nous testons ensuite deux mécanismes distincts. Premièrement, nous considérons les opportunités présentes sur le marché du travail en analysant la différence entre le niveau de chômage et le taux de chômage structurel mesuré à la zone d'emploi. Cette approche repose sur l'idée Beckerienne que les étudiants font des investissements en capital humain selon les rendements escomptés, ces derniers ayant été particulièrement incertains pendant la première vague de la pandémie. Deuxièmement, nous examinons l'excès de mortalité survenu au niveau de la zone d'emploi. Cette mesure offre l'avantage de ne pas être sujette aux erreurs de mesure dues à l'hétérogénéité d'accès aux tests au début de la pandémie. L'hypothèse sous-jacente est que les étudiants exposés directement à la pandémie ont davantage modifié leurs décisions éducatives. Nos résultats suggèrent un rôle limité de ces deux mécanismes. Cependant, nous constatons une corrélation positive et significative entre les opportunités sur le marché du travail et la probabilité d'obtenir un diplôme.

Dans l'ensemble, nos résultats suggèrent que la pandémie de COVID-19 a eu un impact considérable sur le taux d'abandon des étudiants universitaires en France, avec des variations en fonction des caractéristiques socio-démographiques, des domaines d'études et des contextes institutionnels. Comprendre ces effets est crucial pour relever les défis auxquels sont confrontés les étudiants dans un monde post-pandémie et atténuer l'aggravation des inégalités dans l'enseignement supérieur. 

 

Cette recherche a bénéficié d’un financement de la région Île-de-France (chaire en sciences humaines et sociales accordée à Léonard Moulin, EX061002 – 21010352).

 

[1] Dagorn, E., and Moulin, L. (2023). Dropping out of university in response to the COVID-19 pandemic, Documents de travail de l'Ined, 276.

[2] Brodeur, A., Gray, D., Islam, A., and Bhuiyan, S. (2021). A literature review of the economics of COVID-19, Journal of Economic Surveys 35(4), 1007–1044.

[3] Betthäuser, B. A., Bach-Mortensen, A. M., and Engzell, P. (2023). A systematic review and meta-analysis of the evidence on learning during the COVID-19 pandemic. Nature Human Behaviour, 7(3), 375-385.

[4] Aalto, A., Müller, D., and Tilley J. L. (2023). From epidemic to pandemic: effects of the COVID-19 outbreak on high school program choices in Sweden, Labour Economics, 82.