Créé par l'AFSE en 2015, l'objectif de ce blog est de permettre aux économistes d'avoir des échanges autour des grands thèmes actuels. L’AFSE n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les différentes notes : ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.

 

Agnès Benassy-Quere - Professeur d’économie Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Chef économiste à la Direction Générale du Trésor

A l’occasion de la journée annuelle AFSE-Trésor sur l’évaluation des politiques publiques, le 14 décembre dernier, une table ronde s’est tenue sur le rôle de l’économiste dans le processus de décision publique. Intitulée « Architectes, ingénieurs et plombiers : les corps de métiers de la politique économique », et présidée par Michel Houdebine, cette table ronde a réuni Hélène Rey (dans le rôle de l’architecte), Jean Pisani-Ferry (dans celui de l’ingénieur) et Esther Duflo (dans celui du plombier). Ce billet présente un résumé des débats qui s’y sont tenus.


Mathilde Guergoat-Larivière - Maîtresse de conférences en Sciences Économiques

Si l’accroissement du niveau d’emploi et d’innovation figure depuis longtemps parmi les priorités de l’Union Européenne, la qualité de l’emploi a émergé plus récemment comme critère incontournable d’une croissance inclusive. Cette note présente les résultats d’une étude récente analysant sur données européennes les liens entre différents indicateurs d’innovation et de qualité de l’emploi. Si l’analyse met tout d’abord en avant une corrélation positive entre niveau d’innovation et qualité de l’emploi au niveau macroéconomique, elle fournit également des éléments probants d’un impact causal du premier sur la seconde au niveau microéconomique à l’aide de données d’entreprises pour l’Allemagne, l’Espagne et la France. Si l’impact globalement positif de l’innovation sur l’emploi se trouve confirmé, notamment pour les entreprises innovant technologiquement, les résultats soulignent des effets ambigus de l’innovation sur la qualité de l’emploi et les inégalités par niveau de qualifications : le progrès technologique bénéficie avant tout aux plus qualifiés. Ceci soulève des questions majeures de politique publique en matière de formation initiale et continue, et d’adaptation des compétences des travailleurs.


Pourquoi l’emploi se polarise

Gregory Verdugo - Maître de conférences à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chercheur au Centre d’Économie de la Sorbonne

Au-delà de la montée des inégalités salariales et de la précarisation croissante du marché du travail pour les moins qualifiés, la période contemporaine se caractérise par une polarisation croissante de l’emploi : tandis que les plus diplômés tirent parti d’une économie de plus en plus gourmande en qualifications, la raréfaction des emplois intermédiaires contraint les moins qualifiés à se tourner vers les services à la personne, caractérisés par des emplois moins payés et peu stables, mais où la demande est croissante. Cette note rappelle le rôle du progrès technique, mais également du commerce international et des institutions du marché du travail dans cette dynamique, et souligne que des emplois plus qualifiés pourraient se voir à leur tour concernés dans un avenir proche.


Flora Bellone - Professeure de Sciences Economiques, Université Côte d’Azur; Chercheur associé à l’OFCE-Sciences Po

La mondialisation a pris un tournant inédit depuis les années 1990 du fait de l’intensification massive du phénomène de fragmentation internationale des processus de production. Cette dernière pourrait remettre en cause l’idée-même que l’ouverture internationale induit systématiquement un gain net pour tous les pays. L’expérience de divers pays émergents au 19ème et au 20ème siècle souligne que, lorsque la mondialisation est nourrie par une baisse fortement asymétrique des coûts de transport des marchandises et des coûts de transferts d’information et des connaissances, il peut survenir conjointement une dynamique globale de divergence et des trajectoires isolées de miracle économique. La mondialisation à l’œuvre depuis les années 1990 s’appuie essentiellement sur la réduction des coûts de transfert du savoir-faire et des connaissances, et induit de ce fait une re-dispersion des activités industrielles vers les pays à bas salaires. Se pose alors pour les pays développés, qui voient la rente d’agglomération dont ils bénéficiant jusqu’alors s’éroder inexorablement, la délicate question des politiques publiques adéquates.


Gilles Dufrenot - Professeur des universités , Aix-Marseille Université , Faculté d'Économie et de Gestion (FEG)

Les controverses actuelles sur la stagnation séculaire s’inscrivent dans la continuité de débats anciens au sein de l’analyse économique, traversée depuis longtemps par la crainte d’un épuisement de la croissance. Si les pays industrialisés semblent bien s’installer dans un régime de croissance et d’inflation faibles, les rôles respectifs des facteurs d’offre et de demande, ainsi que du cycle financier, dans cette situation sont aujourd’hui largement débattus. Parmi les choix envisageables de politique économique destinés à y remédier, la politique budgétaire a probablement davantage de marges de manœuvre que la politique monétaire, aux prises avec le plancher des taux d’intérêt à zéro. Cette note souligne également que l’augmentation des inégalités alimente probablement la dynamique de la stagnation séculaire, et devrait donc faire l’objet à la fois d’un traitement adéquat par les politiques publiques et d’analyses académiques plus approfondies.


Anne Boring - Professeure assistante à la Erasmus University de Rotterdam & Chercheuse associée à Sciences-Po Paris (LIEPP & PRESAGE)

Alors que les inégalités entre hommes et femmes sur le marché du travail sont souvent expliquées par les contraintes familiales (inégale répartition des tâches domestiques, maternité(s)…), cette note souligne, à l’aide de données récentes issues du Ministère de l’enseignement supérieur, que les inégalités professionnelles commencent en réalité dès la sortie de l’université. Cela s’explique tout d’abord à l’université-même, où les femmes sont moins présentes dans les filières scientifiques et plus généralement, dans les filières les plus rémunératrices. A l’arrivée sur le marché du travail, ensuite, les femmes obtiennent moins souvent tant des emplois stables que des fonctions d’encadrement. Se pose alors la question du rôle des établissements d’enseignement supérieur afin de réduire les inégalités à l’entrée sur le marché du travail.


Fallait-il faire l’Euro ?

Elie Cohen - Directeur de Recherche au CNRS, Professeur à Sciences-Po Paris

La succession des crises depuis 2009 et leurs conséquences (décennie perdue dans l’Eurozone, divergence accrue entre Nord et Sud…) ont mis au jour les nombreuses failles économiques et institutionnelles caractérisant l’unification monétaire européenne. Pourtant, s’il est désormais entendu que l’Euro a été mal conçu, et mal mis en œuvre, c’est bien souvent au pire des difficultés que les solutions nécessaires à son maintien ont été élaborées et mises en œuvre. Cet apparent paradoxe renvoie à la nature profonde de la monnaie unique, à la finalité davantage politique qu’économique. L’attachement à l’Euro apparait ainsi aujourd’hui puissant, en dépit de difficultés qui devront bien finir par être corrigées en profondeur.


Patrick Artus - Conseiller économique, Natixis

Il paraît évident que le modèle économique de la zone euro évolue dans un sens différent de celui du modèle traditionnel du libéralisme (appelons ce modèle le « consensus ancien de Washington »), sans doute en réponse aux demandes des opinions. La zone euro devient plus protectrice (contre le dumping social ou environnemental, contre les acquisitions étrangères, contre les multinationales de l’Internet) ; elle souhaite avancer vers la coordination fiscale et sociale de ses pays (harmonisation fiscale, réduction des biais de compétitivité comme les travailleurs détachés) ; elle souhaite un supplément d’interventionnisme des Etats (investissements publics du Plan Juncker, proposition de budget de la zone euro, mise en place de projets communs d’investissement public) ; elle a mis la politique monétaire au service de la croissance. Certaines évolutions sont clairement favorables ; il faudrait se demander si d’autres ne peuvent pas nuire au dynamisme économique de la zone euro (s’il y a réduction de la concurrence, rôle accru des Etats dans les investissements, peut-être hausse de la pression fiscale).


Louisa Toubal - Chef de projet La Fabrique de l'industrie

Depuis les années 1980, le Royaume-Uni a fait de l’attraction d’investisseurs étrangers un élément clé de sa politique industrielle. À la différence de la France, le pays a laissé vendre la plupart de ses fleurons nationaux. C’est aujourd'hui le pays qui attire le plus d’investissements directs étrangers (IDE) en Europe. Ce billet souligne les effets ambigus de ces derniers au Royaume-Uni. Contrairement aux idées reçues, les IDE ont ralenti la désindustrialisation de l’économie britannique, notamment dans le secteur automobile, et contribué à sa montée en gamme. Néanmoins, les capitaux étrangers ne se répartissent pas de façon équitable entre secteurs et régions, aggravant de fait les inégalités spatiales. Dans le contexte du Brexit enfin, la forte dépendance du Royaume-Uni aux IDE n’est pas sans risque pour son économie.


Claude Diebolt - Directeur de Recherche au CNRS à l’Université de Strasbourg

Le thème des Entretiens de l'AFSE, organisé lors des Jéco le 07/11/2017,  est : la preuve dans les Sciences économiques.

Les intervenants seront : Michel Aglietta (Professeur émérite d’économie, conseiller scientifique au CEPII et à France Stratégie), Richard Arena (Professeur de Sciences économiques), Claude Diebolt (Directeur de Recherche au CNRS à l’Université de Strasbourg et Président de la Section 37 (Economie et Gestion) du Comité National de la Recherche Scientifique) et Marie Claire Villeval (Directrice de Recherche CNRS, GATE)