Crise du COVID 19 : Ce que les économistes savent et ce qu’ils vont apprendre.

Beaucoup de questions sur les conséquences économiques de la crise sanitaire du COVID 19, ainsi que sur les mesures de politiques économiques qui pourraient en limiter le coût humain et social, se posent actuellement. Dans cette tribune, construite sous la forme de questions/réponses, Flora Bellone, Professeure à l'Université Côté d'Azur, apporte des éléments de connaissances de manière simple et non technique. L’objectif est d’aider les citoyens non experts à appréhender les préconisations qui sont aujourd’hui faites par les économistes pour surmonter la crise du COVID 19. Sont également abordés les défis que cette crise inédite soulève pour la recherche en science économique.

Beaucoup de questions sur les conséquences économiques de la crise sanitaire du COVID 19, ainsi que sur les mesures de politiques économiques qui pourraient en limiter le coût humain et social, se posent actuellement. Dans cette tribune, construite sous la forme de questions/réponses, des éléments de connaissances sont apportés de manière simple et non technique. L’objectif est d’aider les citoyens non experts à appréhender les préconisations qui sont aujourd’hui faites par les économistes pour surmonter la crise du COVID 19. Sont également abordés les défis que cette crise inédite soulève pour la recherche en science économique. 

 

Existe-t-il des estimations du coût économique des mesures de confinement et de fermeture des commerces ?

Oui. Les économistes disposent d’outils leur permettant d’estimer le cout économique du confinement. Pour la France, les chiffrages sur les deux premières semaines de confinement (INSEE, OFCE, OCDE Banque de France), ont montré une baisse d’activité d’environ 35 % par rapport à une période normale. De nouveaux chiffrages ont été publiés par l’OFCE le 20 avril qui confirment ce même ordre de grandeur pour les deux semaines suivantes, tout en pointant les fortes disparités sectorielles. 

 

Comment ces chiffrages sont-ils réalisés ? 

Ils se basent sur différentes sources d’information. Par exemple, les chiffrages de l’INSEE se basent sur les enquêtes de conjoncture que mène l’INSEE auprès de toutes les branches d’activités économiques. Mais dans le cas d’espèce, l’INSEE à du mobiliser de manière exceptionnelle d'autres sources d'informations, par exemple des données « haute fréquence sur la consommation d’électricité, des transports ferroviaires ou encore des statistiques sur les transactions par cartes bancaires... Les chiffrages de la Banque de France se basent sur leurs propres enquêtes de conjoncture menées auprès d’un panel de 8500 entreprises. Enfin ceux de l’OFCE sont issues des estimations de leurs modèles macroéconomiques construites à partir d’une large variété de données (compte des ménages et comptes de branches de l’INSEE, tableau d’entrées-sorties nationaux et internationaux, données sur l’emploi et le chômage publiées par la DARES…). Le fait que les chiffrages de ces différentes institutions soient concordants en dépit de la variété des sources d‘information et des modalités de calculs, doit s’interpréter comme un gage de fiabilité. 

 

Est-ce beaucoup ou peu ? 

C’est beaucoup. Les premiers chiffrages équivalent à une baisse de 6% du Produit Intérieur Brut (PIB) annuel, sous l’hypothèse d’un confinement de 2 mois puis d’une reprise des activités économiques comme à la normale. Dans ce scénario, nous perdrions donc déjà, pour l’année 2020, l’équivalent de la totalité du budget que l’Etat consacre annuellement à l’éducation nationale. Si on extrapole sur des scénarios avec davantage de confinement partiel, cela pourrait amener à une baisse générale du PIB annuel avoisinant les 10% pour l’année 2020. Pour d’autres économies, dont les structures de production sont plus fragiles, ou totalement dépendante de l’activité d’autres pays à l’arrêt, comme les pays producteurs de matières premières, on peut imaginer des pertes d’activité beaucoup plus importantes et des baisses au-delà des 20 % en termes de PIB annuel.

Dans les pays riches où les Etats se positionnent en assureur en dernier ressort, et s’endettent très largement pour éviter les faillites d’entreprises et compenser les pertes de salaires, la réduction du niveau de vie moyen en 2020 ne sera pas de la même ampleur que la réduction de la richesse produite. En revanche, dans les pays les plus pauvres, ces mécanismes ne seront pas systématiquement en vigueur. Donc on peut prédire qu’avec un recul fort du PIB annuel, une fraction importante de la population, dans certains de ces pays, perdent entièrement ses moyens de subsistance et tombe dans des situations de dépendance totale à l’aide alimentaire durant les semaines de confinement. C’est pour cela que des plans spécifiques de soutien à ces pays, de restructuration de leurs dettes, et de support financier direct à leurs populations les plus vulnérables, font partie des mesures les plus urgentes préconisées par les économistes (voir ci-après). 

 

Les solutions de télétravail et de e-commerce peuvent-elles amortir ce choc, ou la perte de pouvoir d’achat et le stress engendrés par l’épidémie empêchent-ils ce rebond ?

Ces mesures peuvent amortir le choc mais certainement pas au point de permettre un rebond. Par exemple, Le télé-travail ne peut pas compenser la perte d’activité massive dans le secteur du tourisme qui représente, en France, 7% du PIB. Par ailleurs, certains biens de consommation sont devenus indisponibles à la vente en ligne comme hors ligne du fait de l’interruption des chaines de production. Enfin, l’expérience de la Chine montre qu’un commerce en ligne, même en forte expansion, ne peut pas compenser, la baisse générale des ventes hors lignes. Ainsi, alors même que le commerce en ligne a progressé de 26% dans le commerce de détail en Chine, la baisse globale des ventes dans ce secteur, au premier trimestre 2020, a été chiffrée à 20,5% (Le Monde).

Les pertes de pouvoir d‘achat et/ou l’incertitude quant au maintien de ce pouvoir d’achat à court ou moyen terme, ajouté au stress psychologue de la crise sanitaire, sont effectivement des facteurs de nature à déprimer fortement la consommation des ménages pour les biens non essentiels (vêtements, équipement du foyers, loisirs…). Les psychologues peuvent nous éclairer davantage sur ces questions. En tous les cas, l’expérience de de la seconde guerre mondiale, montre que ces freins psychologiques peuvent se lever très rapidement une fois le danger écarté. Mais qu’en est-il d’une situation ou un sentiment de danger demeure sur une longue période ?

Enfin, si les solutions de télétravail et d’e-commerce ne peuvent empêcher la crise économique, elles peuvent néanmoins apporter des améliorations significatives. Toutes les innovations sociales et organisationnelles qui vont émerger de cette crise sont intéressantes, comme le changement des modes de management du travail à distance (voir cette chronique de notre collègue Anthony Hussenot Comment la crise du coronavirus est en train de changer le monde du travail?), ou encore l’essor de nouveaux services à distance pour les personnes « à la maison » ( coaching, téle-consultations…) qui pourraient devenir des secteurs de création de richesse importants dans le futur.

 

Cette crise plonge-t-elle le monde dans une récession historique ?

Oui. La récession est historique. Au niveau mondial, nous avons déjà, de manière certaine, dépassé la contraction qui a été consécutive à la crise financière de 2008 et il n’est pas exclu que nous franchissions la barre d’une contraction de plus de 10% du PIB annuel, au moins dans un grand nombre de pays, voire au niveau mondial. 

Cette barre d’une chute de plus de 10% du PIB annuel pour un pays, est précisément la barre que retiennent les économistes pour identifier un « désastre économique ». Comme nous le rappelle notre collègue Fabien Tripier, dans une chronique pour le Monde et le CEPII parue dans ce blog AFSE, dans l’histoire économique depuis la révolution industrielle, les économistes ont pu recenser près de 200 désastres économiques (Voir le Maddison Project Database (MPD) 2018). Les causes de ces désastres sont très diverses et ont pu être la conséquence de phénomènes purement économiques (comme la grande dépression), mais également politiques (comme les deux guerres mondiales), naturels (comme les tremblements de terre et les tsunamis) ou encore sanitaires (comme la grippe espagnole). 

 

Un nouveau système économique pourrait-il émerger de cette « crise » ou le changement est-il trop brutal pour cela ?

Comme vu précédemment, le choc est extrêmement brutal. La question de savoir si un nouveau système économique peut en sortir, plutôt que le retour à un « business as usual » ou bien l’émergence d’une forme de chaos économique et social, dépend de beaucoup de facteurs, mais déjà de la durée du choc. 

Dans le scénario épidémiologique le plus optimiste, par exemple celui de la découverte imminente d’un traitement très efficace et de la maitrise de la crise sanitaire au niveau mondial à horizon de la mi-juillet 2020, il est probable que l’économie mondiale reviendrait au système en vigueur comme nous l’explique bien Dani Rodrik de l’Université de Harvard. Dans ce scénario, certains, dont je fais partie, pourront toutefois espérer, que les mentalités des individus (travailleurs, investisseurs, consommateurs, acteurs publics..) évoluent suite au choc du COVD-19, conduisant à des infléchissements sensibles dans le sens d’un accroissement des investissements publics pour l’amélioration de la protection sociale, sanitaire et environnementale, d’une plus forte implication de l’Etat pour la régulation des industries, notamment celles reconnues comme essentielles, et enfin d’une évolution de la mondialisation vers des circuits de production plus courts et intégrant davantage de mesures « précautionnistes » (Pascal Lamy). D’autres espérerons au contraire que le retour au business a usual sera le plus complet possible. Dans les pays démocratiques, la balance dépendra avant tout de nos votes. 

Dans un scénario épidémiologique plus pessimiste (et plus probable si l’on se fie aux modélisations des scientifiques de l’Imperial College et de l’INSERM), selon lequel la crise sanitaire se poursuivrait durant plusieurs mois, alors des systèmes économiques alternatifs se mettront en place, au moins par nécessité. Ces systèmes seront marqués, structurellement, par l’émergence de nouveaux modes de production et de consommation compatibles avec la distanciation sociale appropriée pour contenir la pandémie, et donc une mobilité très contrainte des personnes (voir par exemple la projection faite dans cet article de la MIT Technology Review). Dans ce scénario, d’une sortie lente de la crise et sans retour à moyen terme à nos modes de vie d’avant crise, il est possible qu’un système plus radicalement différent se mette en place avec, probablement, une accélération forte de la transition numérique et de la robotisation. Dans ce monde, un grand défi sera de conserver un caractère « humain » à ces nouveaux modes de production et de consommation en dépit de la distanciation sociale. Un autre défi sera de mettre ces transformations au profit de progrès sociaux, incluant la préservation de l’environnement, et non pas seulement au profit de la préservation de la richesse. 

Enfin, dans un scénario épidémiologique très pessimiste, par exemple dans l’hypothèse où plusieurs vagues virulentes de la pandémie se succéderaient sur de nombreux mois, et où les réponses de nos gouvernements n’arriveraient pas à être à la hauteur de ces chocs successifs (pas de coordination suffisantes des plans de relance budgétaire, pas assez de solidarité entre les pays...), alors on peut imaginer un scénario de chaos économique et social avec des faillites en chaînes des entreprises les plus fragiles, puis des Etats les plus pauvres, des endettements extrêmement lourds aussi pour les Etats les plus riches, et donc une décroissance massive, accompagnée d’un nouveau creusement des inégalités entre pays riches et pays émergents et d’un renforcement global des risques d’instabilité politique. Néanmoins, même dans ce type de scénario noir, on pourra garder l’espoir d’initiatives locales qui permettront une certaine forme de résilience des économies et des sociétés. 

 

Comment relancer l’économie du pays après l’extinction de l’épidémie ? Différents scénarios sont-ils à l’étude ?

La plupart des économistes ne réfléchissent pas exactement en ces termes. Actuellement, la question urgente pour eux est la même que pour tous : il s’agit de savoir ce qu’il convient de faire dès aujourd’hui pour limiter le cout humain et social de la crise du COVID-19.

Ici un point de clarification s’impose. Contrairement à une idée trop répandue, les économistes ne sont pas de simples comptables de « coûts et de bénéfices économiques ». Même dans sa définition étroite, la science économique s’intéresse, au-delà de la richesse économique, au bien-être, de l’individu et des sociétés, et, à l’efficacité des systèmes économiques pour promouvoir la progression de ce bien-être. Les économistes sont donc outillés pour réfléchir aux conséquences d’un choc tel que la crise du COVID-19 pour nos sociétés, et pour proposer des politiques permettant d’en limiter le coût humain et social et non pas uniquement le coût économique. Il faut donc les écouter, et envisager leur expertise de manière complémentaire et non pas concurrente, à celles des épidémiologistes par exemple. 

Quels sont donc les politiques économiques actuellement préconisées pour limiter le cout humain et social de la crise du COVID-19 ? 

En priorité absolue, les trois actions immédiates suivantes sont recommandées par de nombreux économistes, parmi eux, certains lauréats récents du prix en l’honneur d’Alfred Nobel décerné par la Banque de Suède :  

  1. Organiser, de manière étatique et régulée, les investissements massifs nécessaires dans la recherche de traitements efficaces ainsi que dans les capacités de production à grande échelle des biens directement utiles pour la gestion sanitaire de la crise (équipement de protection, respirateurs, médicaments…) et la production à très grande échelle de tests de dépistage (Paul Romer, co-lauréat du Prix Nobel 2018). 

  2. Mettre en place des plans de soutien aux entreprises et des plans de soutien de la consommation, en laissant filer les dettes des Etats autant qu’il le faudra et en coordonnant au mieux possible ces plants de relance non seulement au sein de l’Union européenne (OFCE) mais aussi au niveau mondial (Joseph Stiglitz). 

  3. Etendre ces plans de soutien aux pays émergents par le biais d’élargissement de leurs capacités d’endettement et de dotation directe d’un minimum de subsistance aux individus les plus pauvres résidents dans ces pays (voir la préconisation d’Esther Duflo, co-lauréate du prix Nobel 2019)

Vis-à-vis de ces préconisations, une des questions les plus fréquemment posée aux économistes est la suivante : Mais qui paiera pour toutes les dettes accumulées ? La réponse est claire : c’est nous. Ainsi, une fois la crise jugulée, et l’heure des comptes venue, se posera forcément la question du partage équitable entre les générations et les catégories sociales du remboursement de ces dettes. La question de la taxation des hauts revenus et des multinationales redeviendra centrale (cf. la chronique de Fabien Tripier déjà citée ou celle de Thomas Piketty). Comme le dit, de son côté, Jean Tirole, prix Nobel d’économie 2014, face au coronavirus, allons-nous enfin apprendre notre leçon ? Sommes-nous prêts à dépenser suffisamment pour la recherche en santé ? Sommes-nous prêts à payer une taxe carbone pour sauver la planète ? Dit autrement, c’est le moment pour chaque citoyen, de se demander si réclamer toujours moins d’impôts est compatible avec le fait de demander aux Etats de jouer leur rôle face aux risques sanitaires et environnementaux auxquels sont confrontées nos sociétés.

Une autre question fréquente est la suivante : Mais comment est-ce possible que les milliards pleuvent aujourd’hui, alors que les contraintes budgétaires étaient si fortes juste avant ? Ici, la réponse est plus complexe. Comme nous le savons tous par le débat public, les économistes ont toujours été très partagés sur la question de savoir comment gérer la dette publique et comment envisager les contraintes budgètaires, notamment au sein de l’Union Européenne. Ces divergences de points de vue n’ont pas disparu avec la crise. La bonne question donc, ici, est la suivante : pourquoi y-a-t-il un plus large consensus aujourd’hui entre les économistes ? La réponse rapide est la suivante : des dettes contractées pour faire face à une situation de crise exceptionnelle et temporaire sont différentes de dettes contractées pour financer des dépenses structurelles et récurrentes.

Bien sûr, la réflexion des économistes ne s’arrête pas à la question de savoir ce qu’il faut faire immédiatement pour aider nos sociétés à surmonter la crise du COVID 19. Ces derniers doivent aussi se demander pourquoi ils ont négligé l’étude des implications de ce type de risque dans nos économies de marchés. A première vue, ils pourraient apparaître moins coupables de négligence face à cette crise parfaitement exogène que face à la crise financière de 2008 endogène au système économique. Mais en réalité, c’est une faiblesse structurelle de nos outils d’analyse que de saisir imparfaitement les biais avec lesquels les individus et les institutions (marchés et Etats) appréhendent certains types de risques. De ce point de vue, et d’autres encore, la crise du COVD-19 va forcément entrainer des bouleversements importants dans notre discipline de recherche.

 

Comment la recherche en économie est-elle impactée par la crise du Covid 19 ? 

La crise du COVID-19 nous amène donc à des réflexions nouvelles sur différents aspects de l’économie. Plusieurs segments de notre discipline sont impactés. Je détaille ci-dessous ceux qui entrent particulièrement en résonnance avec des programmes de recherche qui sont actuellement en cours au sein de mon équipe de recherche, le GREDEG, équipe jointe de l’Université Côte d’Azur et du CNRS

La question de la résilience de nos systèmes de production insérés dans la mondialisation. 

Une des premières questions qu’a fait émerger la crise du COVID 19 a été celle de l’efficacité de nos modes de production devenus extrêmement fragmentés au niveau international. En effet, la crise ayant démarré en Chine, dans « l’Usine du Monde », le choc a été conséquent pour l’ensemble des chaines de valeurs mondiales. En ricochet, alors même qu’un mois avant, nous faisions majoritairement nos courses en regardant le prix davantage que l’étiquette du lieu de fabrication, avec le Covid 19, nous nous sommes réveillés avec la gueule de bois. Mais est-ce vraiment possible que les biens de protection et les médicaments dont nous avons besoin en urgence absolue, ne soient plus du tout produits sur le territoire français, et très peu sur le territoire européen ? Clairement, cela pose un problème et cela nécessite que les économistes comprennent mieux pourquoi nos systèmes de production décentralisés et fragmentés internationalement sont fragiles face à ce type de risques majeurs. 

Au GREDEG, nous sommes spécialisés dans l’analyse des mutations du tissu productif des économies industrialisées, notamment celles qui ont pris place depuis le milieu des années 1990. C’est ce que nous appelons dans notre jargon d’économistes : l’analyse du changement structurel. Nous le faisons en particulier au sein du projet structurant « Hétérogénéité, Compétitivité et Croissance », en développant des travaux à partir de très larges bases de données qui permettre de scruter a des niveaux très fins (entreprises, travailleurs, produits, brevets…), et à grande échelle, les restructurations industrielles en cours, et la résilience de nos industries à différents chocs (choc de compétitivité, chocs technologique). Ces bases de données, associés à nos compétences dans la modélisation des systèmes complexes, et des effets de propagation des chocs d’origine technologique ou financière, peuvent être étendues à l’analyse de la résilience de nos structures productives a des crises telles que celle du COVID 19. 

La question de l’efficacité du marché versus de l’Etat dans les processus de production moderne et de l’évolution nécessaire des modes de régulation de la production. 

Une deuxième source de réflexion que soulève la crise du COVID 19 pour les économistes concerne le rôle de l’Etat dans l’organisation de la production. Cette crise est la première qui nous oblige à repenser très sérieusement le rôle des gouvernements dans la régulation et la provision de biens privés et non pas seulement de biens publics. Je citais précédemment notre dernier prix Nobel d’économie français, Jean Tirole, qui exhortait le citoyen-type à tirer leçon de la crise du COVID 19, par exemple en acceptant la taxe carbone. Le citoyen pourrait de la même manière interpeler l’économiste-type, en lui demandant de tirer leçon de la crise du COVID-19, par exemple en arrêtant de préconiser de manière systématique l’absence de l’intervention de l’Etat en matière de politique industrielle. Cela fait de nombreuses années que le débat fait rage entre économistes, entre ceux qui préconisent des politiques industrielles actives et ciblées et ceux qui ne jurent que par des politiques de concurrence, pointant les risques d’inefficience si les gouvernements se mêlaient de trop près de vouloir déterminer ce qui doit être produit et où. Clairement la Crise du COVID 19 permet au camp des défenseurs des politiques industrielles ciblées de marquer un point mais encore faut -il affiner la recherche sur les outils de régulation les mieux adaptés à ce type d’interventions. 

Dans le cadre du projet de recherche structurant du GREDEG « Stratégie et Régulation des marchés » ainsi que de l’Ecole de Droit Economique de Nice, rattachée au laboratoire, des problématiques de régulation des industries stratégiques sont posées, notamment celles liées aux nouvelles technologies numériques. Ces compétences peuvent être mobilisées pour éclairer ce débat sur le rôle et les modalités d’action de l’Etat pour une gestion efficace des biens essentiels face à des crises telles que le CIVID 19. 

Une autre question est celle de la régulation et du contrôle des flux que soulève notre collègue juriste Jean-Sylvestre Berget dans une chronique intitulée COVID-19 ou comment penser en droit l’illusion du contrôle des flux ? . Nous, économistes n’échappons pas à cette illusion, et la préconisation la plus immédiate que nous faisons pour lutter contre la crise du COVID-19 relève bien de la logique « tout peut être contrôlé si l’on s’en donne les moyens ». Doit-on réfléchir aux limites inhérentes à ce type d’approches ? Quelles seraient les solutions alternatives ?

La question du rôle des interactions sociales dans nos systèmes économiques et l’importance des biais comportementaux. 

La crise du COVD-19 représente une forme « d’expérience de laboratoire grandeur nature » du fonctionnement de nos économies face à un risque majeur et dans des modes d’interactions sociales contraints. Depuis plusieurs années, un courant novateur de la recherche consiste à repenser l’analyse des comportements à la lumière de ce que savons de nos traits psychologiques et sociologiques. Il s’agit de l’économie comportementale et expérimentale, qui nous a permis de faire de grands progrès dans la compréhension de l’inefficience des systèmes économiques face au risque de crise financière, ou aux risques environnementaux. Ces outils peuvent être mobilisées de manière utile pour comprendre comment nos économies peuvent répondre efficacement à un risque de crise sanitaire du type du COVD-19. Par ailleurs, l’observation du fonctionnement de nos économies en situation de restrictions des interactions sociales, va devenir une source d’information importante, nous permettant de mieux comprendre comment ces interactions jouent sur la performance et la résilience de nos sociétés. On pourra par exemple se demander quels sont les biais des comportements économiques face à des situations de restrictions de liberté de mouvement, ou encore quels sont les nouveaux types de conflits sociaux-économiques qui émergent en situation d’interactions sociales réduites. Dans le cadre du projet structurant « Complexité et Dynamique des Interactions, des Réseaux et des Marchés » ainsi que du « Laboratoire d’Economie Expérimentale de Nice », les chercheurs du GREDEG disposent d’outils de recherche adaptés qui peuvent être mobilisés sur ces questions de recherche. 

 

Pour aller plus loin

Pour en apprendre davantage sur les conséquences économiques de la crise du COVID-19 ainsi que sur les débats de politiques économiques actuels, voir le dossier spécial COVID-19 du site Toutéconomie

 

Chronique originale parue sur le blog de l’Université Côte d’azur. Dans cette version les derniers chiffrages disponibles à la date du 20 avril 2020 concernant les conséquences économiques des mesures du confinement en France ont été intégrés.