Les Entretiens de l’AFSE 2017 La preuve dans les sciences économiques

Le thème des Entretiens de l'AFSE, organisé lors des Jéco le 07/11/2017,  est : la preuve dans les Sciences économiques.

Les intervenants seront : Michel Aglietta (Professeur émérite d’économie, conseiller scientifique au CEPII et à France Stratégie), Richard Arena (Professeur de Sciences économiques), Claude Diebolt (Directeur de Recherche au CNRS à l’Université de Strasbourg et Président de la Section 37 (Economie et Gestion) du Comité National de la Recherche Scientifique) et Marie Claire Villeval (Directrice de Recherche CNRS, GATE)

Le thème des Entretiens de l'AFSE, organisé lors des Jéco le 07/11/2017,  est : la preuve dans les Sciences économiques.

Les intervenants seront : Michel Aglietta (Professeur émérite d’économie, conseiller scientifique au CEPII et à France Stratégie), Richard Arena (Professeur de Sciences économiques), Claude Diebolt (Directeur de Recherche au CNRS à l’Université de Strasbourg et Président de la Section 37 (Economie et Gestion) du Comité National de la Recherche Scientifique) et Marie Claire Villeval (Directrice de Recherche CNRS, GATE)

Voici une proposition de billet pour introduire le thème proposé par Claude Diebolt organisateur de la conférence

Le degré d’avancement, de maturité, reconnu à la discipline économique est aujourd’hui, plus que jamais peut-être, en étroite dépendance de sa capacité à utiliser la modélisation mathématique dans la formulation et la résolution des problèmes qu’elle se pose. Malgré une renaissance de l’économie appliquée et l’essor de l’économie expérimentale et comportementale, l’ambition de tout économiste, ambition avouée ou non, n’est-elle pas l’élaboration d’un modèle théorique permettant de contrôler et de prévoir, de manière hautement probable, une classe de phénomènes économiques[1] aussi large que possible ? Durkheim plaidait pour une unification des sciences humaines et sociales, Geisteswissenschaften, via l’histoire. L’économie vise-t-elle l’unification à l’image des sciences exactes, Naturwissenschaften, via un langage (souvent mathématique) précis, nourri d’une articulation rigoureuse de ses propositions… sans contextualisation ? Ce faisant, l’économie serait-elle devenue la plus avancée des sciences humaines et sociales ? Paradoxalement peut-être, au-delà d’une institutionnalisation forte, les recherches en économie traversent une crise de renouvellement. Le socle social sur lequel nous vivons s’ébranle et se modifie profondément. Sous l’action des réalités quotidiennes, les vérités qui semblaient les mieux assises ont été régulièrement remises en question. L’économie toute entière, forte de ses succès pratiques, ne serait-elle en définitive qu’une erreur qui a réussi, une falsification continuelle du réel ? Pour autant, s’agit-il de rejeter une théorie lorsqu’elle entre en contradiction avec la réalité ? Repensons au Methodenstreit, à L’École historique allemande (Schmoller, Sombart, Spiethoff, Weber, etc... plus tard Eucken et l’ordolibéralisme), partisans d’une démarche fondée sur l’enquête historique, la collection de données ; réticents à toute forme de systématisation théorique universelle. Pourquoi cette querelle ? Démarche inductive contre démarche déductive, ou encore économie “littéraire” contre économie “mathématique”, voire même empirisme contre théorie ? Ces interprétations, souvent avancées, sont fausses ou du moins relèvent d’une forme de mythe, puisque la question notamment des mathématiques est totalement absente. Schmoller et Menger combinent induction et déduction. Schmoller reconnait la nécessité de la théorie. Menger et Schmoller étaient d’accord sur de nombreux points sauf sur un élément fondamental : l’objectif de la science économique ! Schmoller considérait que l’objectif de l’économie était de faire ressortir les spécificités des économies nationales dans le temps et l’espace, de comprendre comment et pourquoi chaque économie nationale était spécifique, de saisir la différence entre un système capitaliste et un système féodal. La méthode que Menger expose relève du réalisme aristotélicien. L’objectif de la théorie économique, qu’il distingue de l’histoire économique et de la statistique économique, est de parvenir à saisir l’essence des objets étudiés. A l’image des briques de la vie, on isole les aspects essentiels du phénomène étudié et on divise ces aspects essentiels dans la forme la plus simple et la plus typique. Mais, quelles sont les briques de l’univers économique ? Y a-t-il un alphabet de la matière économique ? Quoi qu’il en soit, c’est le fondement de ce que Menger nomme la recherche théorique exacte en sciences sociales. Pour Schmoller, il n’existe pas de lois économiques car celles-ci sont variables dans le temps et l’espace en fonction des institutions en vigueur. Pour Menger, s’il n’existe pas empiriquement de lois ayant un statut de loi au sens des sciences physiques, l’économiste peut en revanche découvrir des lois exactes. L’élément le plus typique : l’individu (l’homo-oeconomicus) avec un aspect majeur de son comportement… la poursuite de son intérêt. Menger explique ainsi que l’on peut remonter jusqu’à l’essence du phénomène qu’est le prix de marché. Où en sommes-nous depuis ce célèbre débat des méthodes ? Y a-t-il eu des progrès de connaissance par substitution de corpus théoriques, ou l’économie n’est-elle pas restée politique au sens le plus fort du terme ? La Wertfreiheit de l’économie ne serait-elle donc qu’apparente, un mélange d’interrogations scientifiques et de croyances fondatrices ? Des spécialisations de plus en plus fines… preuve de scientificité ou d’anomie ? Une interdisciplinarité possible, malgré un durcissement disciplinaire ? Pourquoi, tout au long du 20ème siècle, la question historique du Verstehen (comprendre) chère à Fogel, Friedman, Hicks, Kaldor, Keynes, Lewis, Lucas, Rostow, Schultz, Sweezy etc., est-elle progressivement devenue problématique en économie et pourquoi une grande partie de la théorie économique a-t-elle fuit l’analyse historique ? En conséquence, nous trouvons des économistes trop massivement présents du côté de l’Erklären (expliquer), de l’analyse du réel via le modèle mathématique (la faute à Samuelson ?), en quête d’objectivité, souvent sans référence à une quelconque information non-quantifiable et qui ne serait pas intégrable dans une construction formalisée. Une économétrie appliquée aussi, régulièrement utilisé sans réflexion approfondie sur les données mobilisées. Une incapacité à réconcilier le fait (wie es eigentlich gewesen ist) avec le fait stylisé ? Lorsque l'on repense au Methodenstreit ou ne serait-ce qu'au projet des fondateurs de la revue Econometrica en 1933, visant, à leur manière, à réconcilier la théorie, l'histoire et les statistiques, les cris d'orfraies actuels sont sans doute plus salutaires que jamais auparavant ! Les Entretiens de l’AFSE 2017 ambitionnent de réinvestir le débat à travers un échange dédié à la question de la preuve dans les sciences économiques. En d’autres termes, comment aboutir à l’établissement de connaissances valides ? Comment lever les doutes ? Hypothèses, méthodes, démonstrations, expérimentations, validations empiriques, réplications, vérifications etc. seront, à l’évidence, au cœur de nos interrogations !

 

Claude DIEBOLT

Vice-Président de l’AFSE, le 28 septembre 2017

L'inscription est possible sur le site de Journées de l'économie

 

[1]Et de plus en plus sociaux, au point que l’on pourrait la qualifier de « physique sociale », expression du belge Quételet, 1836 à laquelle Comte substituera celle de sociologie dans la 47ième leçon des Cours de philosophie positive (1830-1842).